Histoire/France 9 janvier Sébastien Balibar

Cela commence en 2007 dans un vol Paris-Boston. Sébastien Balibar se rend au Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour honorer un collègue dont on fête le centenaire. Dans l'avion, il relit ses notes et replonge dans une histoire stupéfiante de savants qui, dans la tourmente la plus totale, ont continué de créer, de réfléchir, de produire. Le physicien est notamment un spécialiste de la supraconductivité, un phénomène qui apparaît dans certains matériaux pour lesquels la résistance électrique disparaît à l'approche du zéro absolu (- 273,15 °). C'est en travaillant sur l'histoire de cette découverte qu'il est tombé sur László Tisza (1907-2009) qu'il vient saluer dans cette conférence. Avec Edward Teller, Lev Landau et Fritz London, il a développé une théorie sur l'hélium liquide et la « superfluidité ». A des températures extrêmement basses, le gaz refroidi ne se comporte plus comme un liquide traditionnel. Ce « superfluide » n'obéit plus aux principes de la thermodynamique et sort de son récipient comme mué par des forces étranges. Cette expérience permet d'observer un état condensé de la matière. C'est aussi la confirmation que la physique quantique a des conséquences à l'échelle macroscopique.

Sébastien Balibar explique cette manipulation de laboratoire avec beaucoup de clarté, mais ce n'est pas l'essentiel de son livre. Le cœur de son récit réside dans le parcours de ces savants qui ont révolutionné la physique dans les années 1930, à une époque où le monde sombrait dans le chaos. La plupart de ces génies étaient juifs. Les mesures antisémites les ont contraints à fuir. Ce fut le cas de Tisza qui quitta la Hongrie de l'amiral Horthy pour la France, puis pour les Etats-Unis. Outre Teller, Landau et London, Balibar évoque aussi Albert Einstein et Leó Szilárd, deux autres exilés, qui ont averti le président des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt, des recherches nazies sur la bombe atomique, information qui conduira au projet Manhattan puis au largage de Little Boy et Fat Man sur Hiroshima et Nagasaki. Balibar consacre un très intéressant chapitre à cette bombe nazie qui n'était pas aussi avancée qu'on le croyait avec de colossales erreurs au départ, notamment sur la détermination de ce que l'on appelle sa « masse critique ».

L'auteur de La pomme et l'atome (Odile Jacob, 2005) rappelle que le chercheur n'est jamais détaché du pouvoir, même lorsqu'il le combat. Tisza s'engagea dans la Légion étrangère et fut réformé deux mois après pour insuffisance cardiaque. Le communiste Frédéric Joliot a dissimulé aux Allemands son cyclotron du Collège de France et a travaillé pour la Résistance. Entre
Hitler et Staline, entre les camps nazis et le goulag, s'est élaborée une physique nouvelle. Des savants de premier plan se sont retrouvés ballottés de ville en ville, de pays en pays, à la recherche d'un refuge, d'un poste, délaissant leur famille, leurs amis. Cet exil forcé donna naissance à la communauté scientifique. C'est ce que raconte ce livre original, personnel, qui fait écho à des préoccupations actuelles.

Sébastien Balibar
Savant cherche refuge : comment les grands noms de la science ont survécu à la Seconde Guerre mondiale
Odile Jacob
Tirage: NC
Prix: 22 euros ; 256 p.
ISBN: 9782738146571

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