Pleurer au Canada. « Chaque jour, je me ronge les sangs pour toi. J'aimerais tant que tu sois hors de ma vue ! » Hana, jeune Coréenne de 16 ans, ne demande pas mieux que d'exaucer le vœu acerbe de sa mère. Son rêve : aller aux États-Unis pour étudier, et, surtout, pour y retrouver son petit copain parti dans un lycée en Caroline du Nord. Exaspérés par son comportement qu'ils jugent insupportable - sorties, copines délurées, alcool, mensonges -, incapables de comprendre et de gérer la crise d'adolescence qu'elle traverse, ses parents finissent par l'expédier dans la famille de son oncle au Canada. Si l'accueil est bienveillant, Hana a du mal à s'adapter. Elle ne surmonte pas la barrière de la langue, n'arrive pas à suivre les cours. Envoyée alors dans un lycée privé comportant une grosse communauté coréenne, elle va aller de mal en pis, prise dans un engrenage de rumeurs et de harcèlement. Jusqu'au jour où Hana décide de se suicider. Cette histoire, c'est Hana elle-même qui la raconte, rétrospectivement, entremêlant le récit de la journée où, à la dérive dans Toronto, elle a décidé d'en finir et les souvenirs des événements l'ayant amenée jusque-là.
Déjà autrice du délicat Deux femmes (Çà et Là, 2018) sur la condition féminine en Corée, la Séoulite Song Aram livre avec Sortie de route un long (plus de 400 pages) et ambitieux roman graphique au parfum de vécu - elle-même aurait connu, selon sa biographie, « des errances liées à son incapacité à s'adapter au système scolaire ». Retraçant en détail les pensées, les interrogations et les atermoiements d'Hana, Song Aram décrit avec subtilité le malaise d'une adolescente ordinaire qui n'arrive pas à trouver sa place, sans guide ni modèle fiable. Sans grande ambition non plus. Persuadée par ses parents qu'elle est une « mauvaise fille », elle est à la fois incomprise par les adultes et confrontée à la méchanceté gratuite de la meute de ses camarades. Les allers et retours temporels constants amplifient le sentiment d'égarement et on se perd avec elle dans les rues pluvieuses de Toronto et dans les méandres de son mal-être. La dureté du propos est à peine adoucie par un trait clair qui rappelle Adrian Tomine, et la douce bichromie gris-bleu des œuvres de Seth - pas de doute, on est ici bien plus dans la bande dessinée indépendante nord-américaine que dans le manhwa. Peu de suspens, pas de grandes révélations, pas de morale à la fin : Sortie de route est une chronique douce-amère et terriblement réaliste de l'adolescence. Un âge où on peut se laisser entraîner à la tragédie alors que tout ce que l'on désire, coûte que coûte et sans bien savoir ce que ça signifie, est devenir adulte le plus vite possible.
Sortie de route
Çà et là
Traduit du coréen par Julie Poujol
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 26 € ; 416 p.
ISBN: 9782369904144
