22 AOÛT - PHILOSOPHIE France

En 1934, Myriam Adévah est internée dans un hôpital psychiatrique près de Paris. Robert Misrahi n'a que 7 ans, et Myriam est sa mère. "C'est ma mère qui fut pour moi l'absence même, l'absence pour ainsi dire viscérale et ontologique." Ce vide, le philosophe ne l'a jamais vraiment comblé. Le pouvait-il d'ailleurs ? Cela ne l'a pas dissuadé de se construire et de se chercher au travers d'une pensée du bonheur sur laquelle il revient à 85 ans.

Grand spécialiste de Spinoza, Robert Misrahi n'avait pas songé à se raconter. C'est Michel Onfray qui lui a suggéré de se dire pour mieux montrer sa philosophie, "une vision positive du monde et de l'éthique" qu'il a construite à partir de l'idée de liberté selon Sartre. Sartre sera sa grande rencontre, sa grande déception aussi après les positions de l'écrivain sur le communisme ou sur le terrorisme palestinien dans les années 1970.

L'amitié restera forte tout de même. Au moins dans son souvenir. "Durant l'Occupation, notamment dans l'automne et l'hiver 1943, Sartre m'avait vu parfois portant l'étoile." Cette étoile jaune, il la découd, devient juif, laïc, athée et, grâce à Sartre, prépare l'agrégation de philosophie.

Misrahi se souvient des Temps modernes, la revue où il publia plusieurs articles sur les Juifs et l'antisémitisme. Il se rappelle aussi des débats intellectuels de cette époque où il fallait choisir entre Marx et Heidegger. Il revoit Jean-Toussaint Desanti, la pipe à la bouche et les idées bien arrêtées, ou François Châtelet, avec ses airs de Beethoven dirigeant sa grande symphonie marxisante.

Misrahi se sent un peu loin de tout cela. "Que faire de sa vie, dès lors qu'on est assuré que Dieu n'existe pas et que les religions sont des fantasmes commodes ?" Il trouve la réponse dans le bonheur. Il ne veut pas être un Juif philosophe comme Levinas, mais un philosophe juif comme Albert Memmi.

Il manquait à Sartre une éthique à sa philosophie de la liberté. Misrahi la trouvera chez Spinoza. Commence alors le travail. Les cours de Gaston Bachelard et de Vladimir Jankélévitch, qui dirigea sa thèse, Lumière, commencement, liberté (Plon, 1969, Points, 1996), qu'il poursuivra avec les trois volumes de son Traité du bonheur (Seuil, 1981, Points, 1985, et Puf, 1987).

Ce bonheur, que Robert Misrahi nous montre dans le déploiement de sa vie qui accompagne le déploiement de sa pensée, passe par sa femme Colette, psychanalyste, morte en 2009, et son "amour tout autre" pour Soledad. La nacre et le rocher nous replonge dans l'atmosphère intellectuelle du temps où Sartre exerçait un magistère intellectuel suprême. Il permet aussi de comprendre l'élaboration d'une oeuvre originale. "Vous, vous avez des choses à dire", lui avait lancé l'auteur des Mots. Et Robert Misrahi rétorque : "Je pense être le seul philosophe aujourd'hui qui ait tenté de construire une doctrine à partir de la pensée de Sartre." Une belle manière de boucler la boucle.

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