22 SEPTEMBRE - HISTOIRE France

La période 1789-1871 n'est pas anodine. En moins d'un siècle, quatre révolutions se sont succédé si on inclut la Commune. A ces quatre soubresauts, Laure Murat ajoute quatre établissements psychiatriques (Charenton, Bicêtre, la Salpêtrière et Sainte-Anne) dont elle a exploré les archives. Tout ceci nous donne le thème de L'homme qui se prenait pour Napoléon : comment délire-t-on l'Histoire ?

Laure Murat- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Laure Murat, professeure au département d'études françaises et francophones de l'université de Californie Los Angeles (Ucla), reprend l'archéologie de Michel Foucault là où il l'avait laissée dans son Histoire de la folie à l'âge classique, c'est-à-dire à la Révolution, au moment où la société renoue son dialogue interrompu avec les insensés, dialogue qui va se poursuivre tout au long du XIXe siècle.

L'invention de la guillotine rencontre alors celle de la psychiatrie. Le rasoir national fait perdre la tête - au sens figuré cette fois - à quelques personnalités comme cet horloger qui l'identifie au mouvement perpétuel pendant que Philippe Pinel, l'homme qui libéra les malades mentaux de leurs chaînes, note, observe et commente l'augmentation de ces nouvelles pathologies.

Suivront d'autres grandes commotions politiques qui entraînent la confusion entre l'utopie et la déraison, l'expansion de la mélancolie en 1848 ou l'opinion bourgeoise et d'une partie des aliénistes à considérer la Commune comme un acte de démence mais pas les atrocités des Versaillais... On constate ainsi que les convulsions politiques n'augmentent pas le nombre de fous, mais elles interrogent autrement les rapports que la société en mutation entretient avec la folie.

Dire que ce travail est passionnant serait bien faible au regard de ce qu'il apporte, de ce qu'il nous dit de la société française et de sa relation à la folie. Laure Murat, qui avait reçu en 2001 le prix Goncourt de la biographie pour La maison du docteur Blanche : histoire d'un asile et de ses pensionnaires de Nerval à Maupassant (Lattès), est une familière de cette thématique. Elle nous rappelle que la psychiatrie est aussi une discipline politique.

Au terme d'une centaine de cartons dépouillés, elle nous propose une plongée dans la maladie mentale et dans le monde des insensés qui s'articule entre le discours du fou et celui de l'aliéniste qui l'enregistre. Comme la "névrose de guerre", identifiée par Freud après la Première Guerre mondiale, il existe bien une névrose de l'Histoire qui se manifeste dans les périodes convulsives.

Dans ce livre élégamment écrit, Laure Murat nous invite à poser un regard différent sur l'Histoire et sur la folie, sur le dialogue qu'un Etat choisit d'entretenir ou de rompre avec les malades, et à méditer cette maxime de Ionesco : "La raison, c'est la folie du plus fort..."

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