6 juin > Essai Allemagne

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Etrange, l’idée de rechercher les manifestations du rire parmi le sang et les larmes. Et pourtant… L’un des premiers livres imprimés en 1946, en Allemagne, fut une anthologie de « blagues chuchotées ». De quoi était-il question ? Rudolph Herzog nous en dit plus. Il s’agissait de blagues prononcées à voix basse, en jetant un œil alentour pour s’assurer que personne d’autre n’écoutait. En voici une. Hitler visitant un asile remarque qu’un homme ne fait pas le salut nazi : « Pourquoi ne saluez-vous pas comme les autres ? » lui lance-t-il. Et l’autre répond : « Mein Führer, je suis l’infirmier, je ne suis pas fou ! »

Pendant les douze ans que dura le IIIe Reich, on rit d’Hitler. Oh, pas tout le monde, bien sûr. Très peu de gens même osèrent le faire. Rire relevait quasiment d’un acte de résistance. Tout abus pouvait entraîner la déportation, comme ce fut le cas pour Werner Finck qui se produisait dans son cabaret berlinois Katakombe, ou la mort pour la star du cinéma allemand Robert Dorsay dont les dignitaires nazis goûtaient peu le comique jugé défaitiste.

La blague s’apparente moins à un acte contestataire qu’à une soupape qui permet de lâcher un peu de pression dans un climat de plus en plus oppressant. Rudolph Herzog, fils du cinéaste Werner Herzog, a cherché à comprendre de quoi les Allemands pouvaient bien rire en ces années funestes. L’historien a d’ailleurs tiré de son enquête un documentaire, Laughting with Hitler, diffusé à la télévision allemande et sur la BBC.

Un fait saillant ressort de cet examen. Les Allemands se sont moqués, très discrètement, du régime, mais jamais de sa brutalité. Le salut nazi a fait les beaux jours des chansonniers, mais ce trait d’esprit n’empêcha pas les Allemands de saluer la fin de la liberté de la presse et de se satisfaire de l’arbitraire quotidien qui se mettait en place. La plupart des histoires rapportées sont finalement peu drôles et surtout très inoffensives. Ce n’est pas le rire salvateur, mais le rire complaisant, la rigolade entre « kamarades », la bonne ruade verbale des tavernes. Le reproche n’est jamais bien méchant. Seul l’humour juif, de plus en plus noir et de plus en plus rare, se manifeste comme un ultime souffle de vie devant l’abîme.

Pas à pas, le régime hitlérien instaure un système de terreur et les blagues peuvent conduire à un séjour à Dachau. L’auteur donne des exemples pitoyables du rire nazi, raciste et gras. On se moque de la corruption des politiciens, du gros Göring, du snob Ribbentrop, des gesticulations du Führer, mais rien sur le meurtre des malades mentaux ou sur ce qui se passe dans les camps. Comment pourrait-on d’ailleurs ? C’est bien l’enseignement essentiel de ce travail. Les Allemands ont plaisanté, mais n’ont rien fait. D’ailleurs, l’inspecteur Derrick ancien de la Waffen-SS, ce n’est pas une blague… L. L.

11.10 2013

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