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Librairie : le casse-tête des SP

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Librairie : le casse-tête des SP

Jugés indispensables par les libraires, notamment dans la perspective de la rentrée littéraire, les services de presse se révèlent très coûteux pour les éditeurs. Ceux-ci préfèrent les envoyer en version numérique, mais cette solution peine à s’imposer.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 19.04.2017 à 22h02 ,
Mis à jour le 20.04.2017 à 17h39

Avril marque le début de la haute saison pour les services de presse (SP) permettant aux libraires de préparer la rentrée littéraire. Une partie d’entre eux sera distribuée à l’issue des présentations des programmes de rentrée organisées à Paris et en province, d’où les libraires repartent généralement avec un sac bien garni. Mais les éditeurs en enverront beaucoup par la poste ou par des prestataires spécialisés comme les messageries Le Dissez.

Pour les libraires, les SP sont de véritables outils de travail. Mais les éditeurs ne cachent pas, à l’instar de Marc Dalby, directeur des ventes chez Actes Sud, qu’ils constituent "un coût colossal". Pour Laure Leroy, directrice de Zulma, "il faut compter 1 000 euros par titre envoyé, hors frais de fabrication". Et Eric Marbeau, responsable partenariats et diffusion numérique chez Madrigall, évalue "entre 4 et 10 euros les frais de production d’une épreuve papier". "Sachant que les libraires sont de plus en plus demandeurs, les envois peuvent dépasser les 500 exemplaires pour certains ouvrages", note Elodie Pajot, chargée du commercial chez Liana Levi, inquiète de voir les budgets s’envoler. Conscient que "de nombreux SP envoyés ne seront jamais lus", Philippe Dorey, directeur commercial de Lattès, déplore surtout "l’importance du gâchis. Mais on n’a pas trouvé de meilleur moyen pour toucher les prescripteurs."

Pour autant, tous les libraires ne sont pas forcément bien lotis. Ceux du premier niveau reçoivent des SP sans trop de difficultés. Encore que, note Hélène des Ligneris (La Machine à lire, à Bordeaux), "cela dépende beaucoup des maisons. Alors que certaines nous en envoient spontanément, chez d’autres, il faut se battre pour en recevoir. Etonnamment, plus la maison est petite, plus elle est généreuse." Mais, pour les petits points de vente, tout est compliqué. "Je reçois des livres qui ne m’intéressent pas et je n’arrive pas à avoir ceux qui m’intéressent", résume Philippe Soussan (Les Vraies Richesses, à Juvisy). "Face aux refus, lance Anne-Laure Reboul (Sauts et gambades, à Dieulefit, Drôme), je ne demande plus rien. Je lis les livres de la librairie en faisant très attention de ne pas les abîmer. Mais si je pouvais les lire en amont, je pourrais mieux les défendre quand ils arrivent sur mes tables."

Insuffisance d’un côté, gâchis de l’autre. "La moitié des SP envoyés sont lus", estime Claude Tarrène, directeur commercial du Dilettante ; "un tiers seulement", évalue Lise Detrigne, chargée des relations libraires chez Métailié, qui salue la qualité de lecture de certains libraires. Ainsi, Philippe Leconte (Le Livre écarlate à Paris) : "J’annote les livres, mets des Post-it. C’est un vrai outil de travail que je garde et réutilise quand je reçois les auteurs dans la librairie. Le problème, c’est le stockage !"

Consciente que de nombreux libraires ont l’embarras du choix dans leurs lectures, Laure Leroy estime qu’une des problématiques de l’éditeur est de "leur donner envie de lire d’abord [ses] livres. C’est pourquoi j’envoie mes SP sous forme non pas d’épreuves, mais de livres finis. En plus, c’est bien moins cher que les épreuves nécessitant des tirages spéciaux." Dans le même esprit, "au Dilettante, les SP sont accompagnés de lettres personnalisées", explique Claude Tarrène. Mais, comme le résume Lise Detrigne, "l’enjeu réside surtout dans la capacité de l’éditeur à affiner ses envois et à cibler le bon destinataire en vue de limiter les déperditions en cours de route. De toute façon, c’est à lui de décider à qui il adresse ses SP en fonction des demandes reçues, soit directement, soit par l’intermédiaire des représentants." C’est d’ailleurs pour travailler plus finement les catalogues littéraires qu’un poste de chargé de relations libraires vient d’être créé, pour la première fois, à la FED.

"Les SP font régulièrement l’objet de réflexions car c’est un service indispensable mais très coûteux, observe Marc Dalby. La solution du numérique est très intéressante, mais beaucoup de libraires y sont encore réfractaires et ne sont pas équipés." C’est par exemple le cas de Coline Hugel (La Colline aux livres, Bergerac), Yannick Burtin (Le Merle moqueur, Paris 20e), ou encore Rémy Ehlinger (Coiffard, Nantes), pour qui "la lecture de SP doit rester un plaisir".

 

Le format numérique s’installe

Pourtant, pour l’éditeur, le format numérique concentre de nombreux avantages. Bien moins cher que le papier, contrôlable grâce à son auto-dégradabilité au bout de deux à trois mois, il évite aussi les abus de certains professionnels qui vendent les spécimens reçus ou se font créditer de leurs retours. Un phénomène toutefois très marginal parmi les libraires, qui ont pris l’habitude de faire don de leurs SP aux prisons, aux bibliothèques, aux associations, voire à de bons clients.

Aujourd’hui, après quelques expérimentations décevantes, Elodie Pajot "croit au format numérique". Liana Levi a rejoint Eden Livres, la plateforme de distribution numérique qui accueille notamment les titres de Gallimard, Flammarion ou encore Actes Sud, et qui constitue l’une des deux solutions pour accéder aux SP numériques, à côté de NetGalley, avec Hachette et Editis. "Doucement, le format numérique s’installe", assure Eric Marbeau qui annonce "plus de 900 libraires abonnés au service d’Eden". A la Fnac, Anne-Claire Tran, directrice de projet Livres numériques, explique avoir lancé un test il y a un an en mettant à la disposition des équipes de libraires plus de 200 liseuses avec un accès aux plateformes Eden Livres et NetGalley. "Nous avons aussi proposé des sessions de formation, explique-t-elle. Aujourd’hui, les retours sont très positifs."

A La Machine à lire, Maud Pionica se distingue en lisant en numérique, mais elle reconnaît que "c’est surtout pour défricher la production et se faire une idée rapide du livre. Quand je veux vraiment le lire, je passe au papier." A La Malle aux histoires (Pantin), Morgane Payock-Monthé est en revanche convertie : "Je lis beaucoup en numérique. C’est un moyen de contourner la difficulté de recevoir les SP en papier. Chez Gallimard, nous n’en avons quasiment jamais reçu, par contre nous pouvons, en numérique, accéder à une grande partie de leurs nouveautés à paraître. C’est très pratique… Dommage qu’il y ait autant de problèmes techniques." Face aux freins technologiques, Eric Marbeau annonce qu’Eden Livres a signé un contrat de SAV avec e-Pagine et travaille au déploiement de LCP Readium, un système de protection des fichiers permettant de simplifier grandement l’usage des livres numériques pour le lecteur par rapport au dispositif actuel Adobe.

Reste la question de l’équipement des libraires. Certains caressent l’idée que les éditeurs, qui ont tout à gagner dans le passage au numérique, les aident à se doter de liseuses, sachant que les investissements seront vite amortis par les économies réalisées ensuite avec la baisse des SP papier. A suivre.

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