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Librairies anglophones : my bookseller is rich

La librairie Smith & Son de la rue des Rosiers à Paris, petite sœur de celle de la rue de Rivoli, a été inaugurée à la mi-septembre. - Photo OLIVIER DION

Librairies anglophones : my bookseller is rich

L'ouverture d'une nouvelle librairie anglophone Smith & Son au cœur de Paris, comme celle de Bookie's, à Périgueux, soulignent le regain d'intérêt d'un public de jeunes lecteurs pour le livre anglophone en VO.

Par Marie Fouquet,
Créé le 17.11.2022 à 14h16 ,
Mis à jour le 02.10.2023 à 11h28

Depuis le début de l'année 2022 en France, les librairies anglophones ne désemplissent pas. Pourtant 2020 et même 2021, qui ont vu passer le Covid et le Brexit, ont été particulièrement difficiles pour elles. La plus renommée d'entre elles, Shakespeare and Company, à Paris, dont le chiffre d'affaires avait chuté de 80 %, avait même fait fin 2020 un appel à sa clientèle pour qu'elle vienne acheter des livres. Ces temps-là sont désormais loin.

Dijon, Périgueux, Paris

À contre-courant des librairies généralistes françaises, qui peinent à conserver cette année l'exceptionnelle fréquentation et les niveaux de vente qu'elles ont connus juste après les confinements, les enseignes anglophones ont le vent en poupe. En témoigne notamment la multiplication des ouvertures. Burgundy Bookworm a été inaugurée à Dijon il y a un an. Bookie's Bookshop a ouvert à Périgueux (Dordogne) en septembre dernier, tout comme, dans le quartier parisien du Marais, à Paris, une nouvelle librairie, annexe de la célèbre Smith & Son de la rue de Rivoli. Celle-ci avait été rachetée en 2017 par son directeur, Patrick Moynot, au grand groupe anglais WH Smith. Désormais à la tête de deux librairies anglophones à Paris, il se montre ferme et confiant. « Le marché du livre anglophone est aujourd'hui porteur », se félicite celui qui, lorsqu'il a repris l'enseigne britannique, a remis le livre au cœur de l'activité de la librairie, qui multipliait alors les marchandises, papeterie et cartes postales, ainsi que des objets dérivés. « Il y avait un hiatus stratégique entre ce que proposait WH Smith à Paris et la demande de la clientèle », estime-t-il.

Car il s'agit bien de cela : les librairies anglophones font face à une demande des lecteurs en plein essor. « C'est extraordinaire !, s'enthousiasme Anne Perrier, libraire dans la très chic Galignani, à quelques centaines de mètres de Smith & Son. Le livre est devenu l'objet de désir par excellence, comme l'était la paire de Nike il y a encore quelques années. » Chez Galignani, en pleine semaine, de jeunes lectrices et lecteurs emplissent les rayons young adult, fantasy et romantic comedy, des exemplaires du dernier Sally Rooney en mains. « Et encore, cet après-midi, c'est plutôt calme », précise Anne Perrier.

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Librairie Smith & Son à Paris.- Photo OLIVIER DIONOLIVIER DION

« La période que l'on connaît aujourd'hui est exceptionnelle, constate également Aminata Said Ahamed, libraire chez Shakespeare and Company. Depuis janvier, c'est du non-stop ! » Certains libraires ont même du mal à trouver le temps de répondre au téléphone : « J'essaye de vous rappeler en fin de journée, il y a beaucoup de monde ! », répond Brian Spence, de The Abbeybookshop, à un client. Plus tard, il avoue sur un ton désolé : « Un client m'attend pour ressortir avec Le Hobbit, je vous rappelle... » 

L'impact de TikTok

Plusieurs facteurs expliquent cet engouement pour le livre anglophone en version originale. Brian Spence évoque le fort retour du tourisme étranger, rendu impossible pendant les années Covid. Mais Patrick Moynot insiste surtout sur le colossal succès de la littérature young adult. Anne Perrier n'a aucun doute sur ce qui lui semble être une cause fondamentale du succès : « TikTok est devenu le premier prescripteur de livres pour les jeunes. » Le phénomène #Booktok est aujourd'hui viral et son impact sur les ventes de livres, en particulier les livres anglophones, propulse certains titres et auteurs aux rangs de best-sellers. Directrice de Galignani, Danielle Cillien Sabatier le confirme : « Certains titres se vendent aujourd'hui entre 1 200 et 1 500 exemplaires, contre 250 à 300 il y a encore quelques années. » Selon Aminata Said Ahamed, les progrès dans l'apprentissage des langues expliquent aussi l'intérêt du jeune public pour les livres en VO : « La jeune clientèle est devenue parfaitement bilingue. Ils apprennent la langue dès l'école primaire, à un niveau bien supérieur à celui des générations précédentes, et ils regardent beaucoup de séries en anglais. »

Ouverture internationale

Le libraire de la toute récente Bookie's Bookshop, à Périgueux, David Bouklas, associe ce succès à la créativité des auteurs anglo-saxons : « La littérature anglophone est à l'avant-garde, elle propose des écritures novatrices et intéressantes. » Brian Spence, de l'Abbeybookshop, installé depuis 30 ans dans le Quartier latin, remarque quant à lui un changement dans les habitudes de loisir du lectorat depuis le Covid : « Les Français lisent davantage. Il y a dix ans, on perdait des enseignes anglo-saxonnes, comme The Village Voice, et il y avait ce cri d'alarme face à internet et aux livres numériques, supposés prendre la place du livre imprimé », se souvient-il, un sourire dans la voix.

En 2022, renversant une tendance aux fermetures observée pendant dix ans, l'heure est au contraire aux créations de librairies en VO, et pas uniquement en anglais. Encore rares dans l'Hexagone, les librairies internationales, où l'anglais occupe une position déterminante, suscitent aussi un vif intérêt lié à une forte demande de la clientèle. Libraire en reconversion, Anne-Sophie Crespin se prépare à saisir l'opportunité avec un projet de librairie internationale au cœur du quartier cosmopolite de Belsunce, à Marseille. L'ouverture est prévue courant 2023.

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