On comprend l’attrait de Paul Valéry pour les mathématiques. Quand la littérature dégouline de pathos, voilà un langage exact, dénué d’ego. Fabienne Verdier n’a pas non plus choisi la voie des affects. Rien d’égotique dans ses tableaux. La démarche consiste « à polir le moi, afin d’ouvrir une possibilité de retrouvailles avec le grand Tout ». L’abstraction, elle y est parvenue non pas par les sciences mais grâce à un détour en Chine - dix ans auprès d’un maître de la calligraphie. Avec lui, elle fit l’apprentissage de cette modestie qui permet de s’imprégner du réel.

Chez la peintre née en 1962 à Paris se déploie un double mouvement : l’un vertical, une « ascension du mont Ventoux à la Pétrarque » ; l’autre de descente au plus profond de soi, un approfondissement jusqu’à la dissolution de son propre être dans la présence au monde. « L’ainsité », explique-t-elle d’un terme bouddhique, qui signifie le fait de s’apercevoir qu’il en est ainsi.

Peindre s’apparente plus à une pérégrination à travers les chemins escarpés de montagne qu’à de calmes sessions devant son chevalet… L’escalade tient de l’atavisme. Son grand-père maternel, polytechnicien, humaniste, compositeur à ses heures et grand montagnard a été une figure déterminante. Dans les années 1990, elle décide de s’installer dans le Vexin pour être plus proche de l’aïeul qui décède avant son retour de Chine. Dans une malle du défunt, elle découvre de vieilles photos en noir et blanc des expéditions du lettré alpiniste : « Dans ces clichés de paysages de montagne, j’ai retrouvé toutes les compositions de mes peintures abstraites. » Si Fabienne Verdier tente dans ses œuvres d’effacer toute trace de narcissisme, l’artiste ne saurait renier la mémoire de ce qui l’a construite. Délicatesse d’une mère qui s’est toujours contentée de peu. « Cultiver son jardin, jouir de l’éternité de l’instant, c’est la sagesse de ma mère. » Et de souligner ce goût pour la contemplation qu’elle partage avec elle. Anticonformisme d’un père qui quitte sa femme et ses cinq enfants (Fabienne, l’aînée, a 8 ans) : « 68 est passé par là, mon père est parti cultiver du vin et élever des moutons entre Carcassonne et Limoux, dans la Malepère. » La « révolution intérieure » de cet ancien des Arts déco et directeur artistique bouleverse le microcosme catholique bourgeois dont il est issu. Fabienne se construit dans l’entre-deux. Mise dans une école de jeunes filles à jupes strictes et socquettes blanches, elle se retrouve avec ses frères et sœurs le week-end dans une atmosphère de mécréant bohème. Le père vécut un temps sur une péniche tout près du musée d’Art moderne de la ville de Paris. Au programme : patin à roulettes sur l’esplanade et immersion dans les poétiques machines de Tinguely, la gaité loufoque de Niki de Saint Phalle ou les champs chromatiques de Barnett Newman… A 16 ans, Fabienne rejoint le paternel anarchiste et déclare qu’elle veut consacrer sa vie à la peinture. Tout en la prévenant de cette « folie », il la prend au mot et l’enferme avec des pots de peinture afin d’éprouver sa motivation. Fabienne peint dix heures par jour et le convainc de lui enseigner son savoir artistique.

 

 

Dialogue avec la peinture.

Fabienne Verdier a raconté ses dix années d’initiation à la calligraphie chinoise dans Passagère du silence (Albin Michel, 2003). Aujourd’hui, c’est un tout autre dialogue qu’elle noue avec l’ailleurs de la peinture : les primitifs flamands. Au début de mai s’ouvre au Groeningemuseum de Bruges une exposition de ses nouvelles peintures en regard de six chefs-d’œuvre de maîtres du Nord : Van Eyck, Memling, Simon Marmion… Trait noir sur fond rouge en écho à la ceinture de saint Luc, dans le chef-d’œuvre de Rogier van der Weyden…Volute blanche sur fond noir pour La dormition de la Vierge d’Hugo van der Goes…

 

L’esprit de la peinture est plus qu’un catalogue d’exposition. Sous la houlette de Daniel Abadie, commissaire de l’exposition, des auteurs aussi divers que le paysagiste Gilles Clément, le danseur de butô Amagatsu ou encore le théologien François Boespflug sont invités à converser avec l’art contemporain de Verdier et celui des maîtres flamands. Quel rapport entre l’écriture chinoise et les paysages des primitifs flamands ? « Une écriture phénoménologique qui traduit la grande rêverie du monde » - herbes folles, narcisses au bord de l’eau, le miracle du moindre brin de verdure…Sean J. Rose

L’esprit de la peinture. Hommage aux maîtres flamands, Fabienne Verdier, Albin Michel, sortie le 10 mai, 192 p.

Fabienne Verdier et les maîtres flamands : notes et carnets, Alexandre Vanautgaerden, Albin Michel, sortie le 10 mai, 128 p.

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