2 FÉVRIER - ROMAN France

J. M. Erre- Photo PHILIPPE MATSAS/OPALE/BUCHET-CHASTEL

Le mystérieux J. M. Erre, est l'un des écrivains les plus réjouissants de notre paysage littéraire. On sait seulement qu'il est professeur à Sète - s'il est aussi doué à l'oral qu'à l'écrit, ses élèves doivent l'aduler -, et qu'il porte un prénom trop ringard à son goût. Il n'en livre donc que les initiales. Ça fait auteur de polar américain, même si son inspiration, ses maîtres et son sens du nonsense sont plutôt british, surtout ici.

Toute cette tragédie burlesque, qui respecte grosso modo la règle des trois unités, se déroule en Suisse, à Meiringen, près des fameuses chutes d'eau où feignit de périr Sherlock Holmes, après un corps-à-corps épique avec l'infâme professeur Moriarty, son ennemi intime. Le lieu est devenu culte et touristique, près duquel a été construit un hôtel, nommé Baker Street, of course. Et c'est là que le professeur Bobo, titulaire depuis des décennies de la chaire d'holmésologie à la Sorbonne et surnommé "le Jeanne Calment des amphis", a décidé de réunir en symposium les neuf meilleurs spécialistes mondiaux du Canon, le corpus complet des romans et nouvelles consacrés par le docteur Watson à son illustre ami - avec un petit coup de pouce de sir Arthur Conan Doyle. Trois jours durant, chacun va devoir présenter une communication où il montrera ce qu'il a découvert sur Sherlock Holmes, aspects ou documents totalement inédits. A la fin, Bobo adoubera son successeur. Mais naturellement, tout va déraper.

L'hôtel est pris dans une avalanche, et coupé du reste du monde. Les dix se retrouvent entre eux, avec une soi-disant servante, qui se révélera vite être la journaliste Audrey Marmouzin, infiltrée dans ce colloque de doux dingues afin de réaliser un scoop. En fait, elle va tenir une chronique minutieuse de ce qui va se transformer en enfer. Car la Faucheuse, dès le deuxième jour, commence à frapper, son rythme s'accélérant et le modus necandi variant de l'un à l'autre : pendaison, noyade, empoisonnement ou coup de couteau : "Le surin dans le palpitant, écrit Audrey, c'est le pot-au-feu du meurtre." C'est beau comme du Frédéric Dard, du Michel Audiard, et on y meurt autant.

Si bien qu'à la fin, quand les pompiers parviennent à pénétrer dans l'hôtel - écrabouillant au passage sous la porte le seul rescapé, le jeune Oscar Lecoq -, ne trouvent-ils que des cadavres. Le Journal de la journaliste permettra-t-il au commissaire Lestrade, qui passait par là par hasard, d'élucider cette ténébreuse affaire ? Et cui bono, puisqu'aucun des candidats de la bande à Bobo n'a survécu ?

Naturellement, J. M. Erre connaît à la perfection son canon holmésien, mais pas seulement. Il maîtrise aussi l'oeuvre de dame Agatha. Son livre est un désopilant roman à suspense, ce qui n'est déjà pas si mal. Mais il va plus loin, sans prétention aucune. S'interrogeant, et son lecteur avec lui, sur le formidable pouvoir de la fiction. Laquelle consiste, depuis le premier griot de la vallée du Rift qui fit se pâmer Lucy d'extase épique, à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, tous les morts pour des macchabées et les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Pouvoir redoutable : et si lire tuait ?

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