Les Français consacrent désormais 31 minutes par jour à la lecture, soit dix minutes de moins qu'en 2023 et près de trois heures de moins qu'aux activités sur écrans. Ce décrochage, repris par le Panorama 2025 des Industries Culturelles et Créatives (ICC) publié le 10 décembre par EY et We Are Creative, symbolise les fragilités d'un secteur du livre dont l'impact économique stagne depuis 2022 malgré des chiffres apparemment solides.
Une valeur ajoutée qui baisse
Avec un chiffre d'affaires de 7,8 milliards d'euros en 2024 et une valeur ajoutée de 2,2 milliards, le livre emploie 25 000 ETP (équivalent temps plein) auxquels s'ajoutent entre 20 000 et 28 000 auteurs et traducteurs littéraires, selon le cabinet de consulting.
Mais cette photographie masque un essoufflement : la valeur ajoutée, après un pic en 2021-2022 lié au rebond post-Covid, recule légèrement depuis (-0,9 % entre 2022 et 2024). Le secteur affiche certes une croissance cumulée de sa valeur ajoutée de 30 % depuis 2019, principalement portée par les détaillants et l'évolution de la part de valeur ajoutée dans le chiffre d'affaires de l'édition (30% en 2024 vs 23% en 2019), ce dernier évoluant de +4 % sur cinq ans.
La principale menace est structurelle : 13 % des Français déclarent n'avoir lu aucun livre en 2024, contre 10 % en 2015. Les « gros lecteurs » (20 livres et plus par an) représentent 26 % de la population, en recul de deux points sur un an. « 68 % des Français déclarent qu'ils n'ont pas le temps de lire et 61 % préfèrent consacrer plus de temps à d'autres loisirs », note le CNL cité dans l'étude.
Internet, plateformes vidéo et réseaux sociaux, absents de l'équation il y a vingt ans, captent désormais 21 % du temps libre contre 3 % pour la lecture. En y ajoutant le cinéma (2 %), la télévision (22 %) et les jeux vidéo (10 %), le temps d’écran en temps libre (hors temps de transport), grimpe à 55 % !
Parallèlement, l'achat de livres d'occasion augmente : 39 % des lecteurs en ont acheté en 2025, contre 26 % en 2015 (+ 13 points). Cette pratique portée par des acteurs importants du commerce en ligne et non régulée par la loi sur le prix unique, « peut détourner de potentiels acheteurs de livres neufs » et menace la viabilité du modèle, peut-on lire dans le document (lié à gauche de l’article).
Un effet ciseaux redoutable
Le secteur subit une compression inédite. Les coûts de production – papier, énergie, transports – ont flambé depuis 2022 (+ 59 % pour le papier carton, + 33 % pour l'énergie, + 20 % pour les transports depuis 2015), tandis que le prix de vente des livres n'a progressé que de 9 % sur la période. Cette déconnexion « questionne la viabilité du modèle économique actuel », selon l'étude.
Contrairement à d'autres secteurs d'ICC en forte croissance comme le jeu vidéo (+ 38 % de valeur ajoutée depuis 2019) ou la musique (+ 50 %), le livre génère certes un effet d'entraînement économique notable (2 euros de valeur ajoutée indirecte et induite pour 1 euro direct, soit le double du cinéma), mais sans pouvoir convertir cet impact en dynamique propre.
Face à ces défis, les éditeurs diversifient les formats d'exploitation : édition poche, bandes dessinées, adaptations audiovisuelles. Le CNL note qu'en moyenne 14 % des productions cinématographiques et audiovisuelles françaises adaptent des œuvres littéraires, un taux stable mais en hausse volumétrique (+ 28 % entre 2015 et 2023).
L'exemple d'Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre (Albin Michel / Le Livre de poche) illustre cette stratégie : publié en 2013, le roman a connu plusieurs pics de ventes lors de son adaptation BD par Rue de Sèvres (2015), de sa sortie en poche et de son adaptation cinématographique.
Le numérique progresse (livres audio, podcasts), mais reste marginal dans les revenus. La transition environnementale s'accélère : 98 % du papier acheté par les éditeurs interrogés était certifié durable en 2023 (+ 10 points depuis 2013), et le programme « Chapitres responsables » du SNE/France 2030 déploie calculateurs carbone et formations sur 2025-2026.
Export et maillage territorial en demi-teinte
Avec 3 500 librairies recensées en 2023, la France reste le deuxième pays européen le mieux doté derrière l'Espagne (6 200). Un peu plus de 50 % des emplois salariés du privé se concentrent en Île-de-France avec 80 % des emplois des maisons d’édition, contre 26 % pour ceux des librairies, mieux réparties territorialement. Cette dualité reflète la structure du secteur : sièges éditoriaux parisiens, distribution nationale fragilisée.
L'export, lui, pèse peu : le livre ne figure pas parmi les locomotives internationales des ICC françaises, contrairement à la musique (30 % du CA à l'export) ou au cinéma (23 %).
Face à l'IA générative, qui menace au premier chef les livres pratiques et la jeunesse via l'autoédition assistée, le secteur reste sur ses gardes. Mais c'est bien le désamour progressif des Français pour la lecture, couplé à une équation économique difficilement tenable, qui impose au livre français une évolution de son modèle.
