Livre Paris

Livre Paris : nos auteurs européens

Virginie Despentes présente son livre Vernon Subutex lors de la Foire du livre de Madrid le 11 juin 2016. - Photo DR/INSTITUT FRANÇAIS ESPAGNE

Livre Paris : nos auteurs européens

A l'occasion du salon Livre Paris, où l'Europe sera à l'honneur du 15 au 18 mars, Livres Hebdo a interrogé sept auteurs français qui se sont imposés à l'échelle continentale, dans un contexte où la création française continue de bénéficier d'un fort crédit dans tous les pays. _ par Pierre Georges

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Par Pierre Georges,
Créé le 08.03.2019 à 15h40

Plutôt qu'un pays, c'est un continent que le salon Livre Paris mettra à l'honneur du 15 au 18 mars. L'Europe littéraire, de l'Atlantique à l'Oural, sera célébrée dans un village accueillant une soixantaine d'auteurs dont Orhan Pamuk ou Erri De Luca. L'occasion de vérifier que, si la littérature de nos voisins se vend bien dans l'Hexagone, les auteurs français séduisent, eux, toujours autant les lecteurs du Vieux Continent.

« La France continue d'exporter beaucoup plus de titres qu'elle n'en acquiert », rappelle Pierre Myszkowski au Bureau international de l'édition française (Bief), qui organisera des rencontres d'éditeurs européens les 18 et 19 mars. Chez Gallimard, par exemple, quand Chanson douce de Leïla Slimani a été cédé dans une trentaine de pays d'Europe, Turquie et Russie comprises, Patrick Modiano voit ses Souvenirs dormants disponibles dans 13 langues du continent. Même un jeune auteur comme François-Henri Désérable, avec son Un certain Monsieur Piekielny, est déjà traduit en 9 langues.

La touche française

Chez Flammarion, Michel Houellebecq qui s'exporte dans une quarantaine de pays est une super star en Allemagne. Chez Albin Michel, des thrillers de Jean-Christophe Grangé se sont écoulés à 300 000 exemplaires outre-Rhin. Pierre Lemaitre est traduit en 38 langues, Amélie Nothomb et Eric-Emmanuel Schmitt en 40. Ce dernier, extrêmement populaire chez nos voisins, a vu son Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran se vendre à 860 000 exemplaires dans la patrie de Gœthe.

« L'expérience montre que la touche française se vend bien, quand toutefois l'approche du livre n'est pas trop intellectualisante », confirme Heidi Warneke, directrice des cessions de droits chez Grasset, qui emploie cinq personnes pour faire voyager son catalogue. Pour elle, deux cas de figure : soit les auteurs publiés sont déjà reconnus et les éditeurs européens suivent automatiquement, comme pour Dany Laferrière ou Pascal Quignard, soit les romans bénéficient d'un effet de buzz.

Virginie Despentes est ainsi « devenue une vraie auteure européenne avec Vernon Subutex, traduit partout, même en macédonien et en castillan, best-seller en Allemagne et en Italie, -sélectionné par le Man Booker Prize ! » s'enthousiasme Heidi Warneke, qui cite aussi La tresse de Laetitia Colombani, cédé dans 31 langues européennes. « Ce dernier roman correspond à quelque chose d'universel, une histoire de solidaritéféminine, souligne-t-elle. Cela touche un nerf -sensible et commun à toutes les langues. »

Le phénomène ne se limite pas au roman. Riad Sattouf (22 cessions), Charles Pépin (20), Matthieu Ricard (17) ou encore Christophe André comptent parmi les Français qui vendent le plus en Europe. « Depuis De l'art du bonheur, paru en 2006, Christophe André a une base solide d'une vingtaine d'éditeurs fidèles en Europe », assure Sophie Langlais, responsable des droits étrangers et des acquisitions aux Arènes-L'Iconoclaste. Pour elle, la non-fiction illustrée, historique ou politique séduit aussi l'Europe : « Nos séries Une histoire du sexe, ou L'incroyable histoire du vin sont des cross-over que l'on peut vendre à la fois à des éditeurs généralistes aventureux ou à des éditeurs de BD. »

« Les livres de philosophie sérieux et grand public sont des denrées rares, et nos confrères étrangers savent que la France a un savoir-faire dans ce domaine », ajoute Guillaume Allary, le P-DG d'Allary éditions, qui cumule 230 traductions avec seulement 60 titres en catalogue. « Ces dernières années, deux genres français suscitent l'attention : le polar et le feel-good book, souligne Solène Chabanais, la directrice des droits d'Albin Michel. Dans le polar, notre succès européen du moment est la série Poulets grillés de Sophie Hénaff. Dans le domaine du feel-good, nous venons de céder les droits de traduction de Grégoire et le vieux libraire de Marc Roger. ».

Partout... sauf en Angleterre

Pour autant, dans l'esprit des directeurs de droits, l'Europe reste une notion abstraite. Pour Anne-Solange Noble, directrice du service des droits de Gallimard, « c'est une catégorie artificielle. Il y a 30 pays, 30 cultures et pas une langue commune. Il n'y a donc pas de raison d'opter pour une stratégie globale », assure-t-elle. Heidi Warneke confirme : « On cible d'abord l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Si les ventes fonctionnent dans ce premier cercle, le jeu de dominos européen se met en place ! »

De l'avis général, l'Angleterre reste le marché le plus récalcitrant à la traduction et donc le plus difficile à percer. Principale cause : la surproduction éditoriale. « L'anglais reste un Graal, car les éditeurs ne prennent aucun risque », -explique Guillaume Allary.

«"Traduire, pour quoi faire ? Nous avons déjà assez de bons livres en anglais !", nous disent les Anglais », lance Anne-Solange Noble. « Alors qu'en Italie et en Allemagne nous sommes accueillis à bras ouverts, l'Angleterre nous décourage », déplore aussi Sophie Langlais, qui travaille tous les mois à Londres pour tenter d'arranger une situation qui n'est pas près d'évoluer. Et pour cause, à son entrée en vigueur le 29 mars, le Brexit ajoutera au frein culturel des freins administratifs à l'exportation des auteurs français.

Guillaume Musso : "Une uniformité trompeuse"

Guillaume Musso- Photo EMANUELE SCORCELLETTI

«De l'Allemagne à l'Espagne, de l'Angleterre à la Pologne jusqu'aux Balkans, j'ai la chance d'être traduit à peu près partout en Europe et ce depuis près de quinze ans. Lorsqu'on regarde les listes de meilleures ventes en Europe, on a parfois l'impression d'une uniformité, puisque beaucoup de titres reviennent d'un classement à l'autre, mais cette constatation est trompeuse. D'abord parce qu'un succès sur un territoire n'implique pas qu'il soit « duplicable » dans un pays géographiquement proche. Ensuite, et c'est pour moi le plus intéressant, parce que cette homogénéisation culturelle n'est qu'une façade. Le même roman peut être lu de -façon très différente selon les pays. On lit peut-être la même histoire, mais chacun la réinterprète à l'aune de ses valeurs, de ses spécificités et de son fond culturel. A l'image des couvertures d'un même ouvrage qui, d'un pays à l'autre, peuvent varier du tout au tout, à tel point − et j'en ai fait l'expérience − qu'on a parfois du mal à croire qu'il s'agit du même livre. Il faut donc s'y faire : la perception d'un roman dépend d'une multitude de facteurs qui échappent à son auteur. Dans Frantumaglia, Elena Ferrante a cette belle formule pour évoquer ces aléas littéraires : "Ce que l'auteur s'imagine avoir écrit n'a pas plus de fondement que ce que le lecteur s'imagine avoir lu." » Recueilli par J.-C. P.

Riad Sattouf : "Une responsabilité"

Riad Sattouf- Photo RENAUD MONFOURNY

« Alors que j'ai toujours rêvé d'être compris et que mes livres soient lus, je suis traduit dans 15 pays en Europe et 22 dans le monde. En tant que citoyen français et européen, j'en ressens une certaine fierté. J'aime l'Europe, encore plus en ces temps où elle est attaquée de toutes parts. Je vis comme un honneur d'être devenu un auteur européen, c'est une certaine responsabilité. J'accompagne mes livres le plus possible, mais si je répondais à toutes les invitations, je n'aurais plus le temps d'écrire et de dessiner. Je suis allé en Allemagne, en Angleterre, en Italie. J'ai fait une tournée en Europe du Nord (Danemark, Finlande, Suède, Norvège). A défaut de me déplacer pour chaque lancement, je suis en lien avec mes différents éditeurs, notamment parce que je suis très vigilant sur la qualité de fabrication de mes livres, et j'essaie de répondre aux sollicitations médiatiques. J'ai de merveilleux souvenirs partout où je suis allé. Je me rappelle une émission de la BBC suivie par des millions de télé-spectateurs. Comprenant mal la présentatrice, au fort accent écossais, j'improvisais une réponse en m'appuyant sur un ou deux mots dans ses questions. J'ai appris que l'émission avait été un succès. Les téléspectateurs ont peut-être vu dans le décalage questions-réponses une marque d'humour british ! » Recueilli par J.-C. P.

Laetitia Colombani : "Un champ stimulant"

Laetitia Colombani- Photo JEAN-FRANÇOIS PAGA

«Je voyage beaucoup en Europe, et je connais bien les cultures des pays qui nous entourent. Aujourd'hui il est aussi facile de partir à Londres, Cologne ou Rome que d'aller à Marseille ou Bordeaux. Je me sens profondément européenne. En tant qu'écrivain, je trouve que cela ouvre un champ de perspectives intéressant et stimulant. J'ai adoré me plonger dans la culture sicilienne pour préparer La tresse. Il a été traduit dans la plupart des langues d'Europe et j'ai accompagné sa sortie en Italie, en Allemagne, en Belgique, au Portugal, etc. Le roman a été aussi plébiscité en Allemagne, où nous avons vendu près de 120 000 exemplaires en quelques mois, ainsi qu'en Italie et en Espagne. L'engouement des lecteurs pour le premier roman d'un auteur étranger m'a surprise et touchée. En Hongrie, j'ai découvert que le public se souvenait de mon premier film, A la folie... pas du tout, sorti en 2002. J'ai même donné une interview et animé un débat sur le sujet. » Recueilli par J.-C. P.

Leïla Slimani : "Découvrir ce que les Européens lisent"

Leïla Slimani- Photo CATHERINE HÉLIE

«Mes livres sont traduits dans tous les pays européens, et j'essaye de me rendre partout où l'on m'invite. Cet écho rencontré est plus lié à leur contenu, aux sujets abordés, qu'à l'auteur ! Surtout mes essais, sur l'islam ou le féminisme, par exemple. Ce sont des thèmes qui touchent tout le monde, notamment les Européens. Je suis allée aussi bien en Italie, en Espagne qu'en Angleterre, pays que j'adore parce que, m'exprimant en anglais, je peux m'adresser directement aux gens, en Allemagne, aux Pays-Bas ou dans les pays scandinaves. C'est là qu'on ressent la différence de moyens économiques, entre le nord et le sud, investis dans la chaîne du livre. Hélas, il existe vraiment une Europe à deux vitesses ! Je reçois aussi toujours un accueil attentif, avec des débats passionnants, dans les pays à forte communauté maghrébine. Mais ce que j'aime par-dessus tout, plus que de me focaliser sur mes propres livres, c'est découvrir ce que les autres Européens lisent, et dans quelle langue. Ça m'enrichit toujours beaucoup. » Recueilli par J.-C. P.

Christophe André : "Vertu des traducteurs"

Christophe André- Photo OLIVIER DION

«Si je me sens écrivain européen ? Bien sûr ! D'abord parce que je suis nourri de culture européenne. Ensuite parce que j'ai la chance d'être traduit dans presque toutes les langues européennes : pour un Latin comme moi, quel plaisir de parcourir mes traductions hongroises, finlandaises ou lituaniennes, à la recherche de quelque mot compréhensible ! Cela m'a permis des liens étroits avec certains de mes traducteurs, et une observation comparative de leurs vertus nationales : la rigueur de Ralf, en Allemagne, qui déniche à coup sûr toutes mes erreurs de bibliographie, toutes les imprécisions de mes manuscrits, avec humour et bienveillance ; la sensibilité de Karolina en Pologne, qui me raconte à quel point elle est émue et touchée par mes écrits... Une fois, en Espagne, ma traductrice servait d'interprète. Nous enchaînions les entretiens, les questions étaient toujours un peu les mêmes, mes réponses devenaient de plus en plus brèves. En fin de journée, je finis par m'apercevoir que mes réponses traduites étaient plus riches que leur version originale : la traductrice, bienveillante envers les journalistes, complétait mes propos, en se souvenant parfaitement de ce que j'avais dit le matin ! » Recueilli par J.-C. P.

Éric-Emmanuel Schmitt : "Sentiment et réflexion"

Eric Emmanuel Schmitt- Photo PASCAL ITO

« A l'étranger, j'ai la chance d'avoir une double carrière de dramaturge et de romancier. Et dans certains pays, le lien se fait entre les deux. Surtout dans les pays d'Europe du centre et de l'Est et en Russie car, dans ces pays-là, on aime passionnément le théâtre, on y va souvent, on en attend beaucoup (on se rend moins au cinéma). En Russie, mes pièces sont constamment jouées et j'y vois les plus belles productions, tant les Russes sont les rois du théâtre. Il y a eu un -Festival -Schmitt dans les théâtres de Saint-Pétersbourg il y a quelques années, mais les livres aussi déplacent le public. Récemment, il y a eu une comédie musicale fastueuse d'après Oscar et la dame rose, avec une trentaine d'acteurs sur scène... En Pologne, je suis passé de l'auteur français le plus lu du pays - ce qui n'était pas très difficile - à l'auteur étranger le plus lu (devant les Américains), et pour finir l'auteur vivant le plus lu en Pologne (on m'a décerné le titre d'ambassadeur de la lecture). J'en viens à penser qu'il y a quelque chose de slave dans mon écriture, ou en tout cas qui convient aux Slaves : le sentiment accompagne toujours la réflexion, il n'y a pas de sécheresse intellectuelle. » Recueilli par Jean-Claude Perrier

Tatiana de Rosnay : "Ecrire en deux langues"

Tatiana de Rosnay- Photo DAVID IGNASZEWSKI KOBOY

«Franco-Britannique, bilingue et biculturelle, je me suis toujours considérée comme européenne. Je crois en l'Europe. J'espère de toutes mes forces ne jamais vivre un Frexit ! Le Brexit, quel désastre ! Je ne comprends pas comment on en est arrivés là.

J'ai deux langues d'écriture, l'anglais et le français, et je n'ai jamais pu faire un choix. J'écris dans les deux langues. Le roman sur lequel je travaille en ce moment est rédigé dans les deux langues, simultanément.

J'ai remarqué que ce sont les Pays-Bas qui me réservent le meilleur accueil, depuis Elle s'appelait Sarah, ainsi que les pays scandinaves. On me demande souvent pourquoi, et je suis bien incapable de répondre. J'ai tissé des liens formidables avec mes éditrices néerlandaises, suédoises, norvégiennes. Lors de ma dernière venue à Oslo, pendant ma rencontre avec mes lecteurs, mes éditeurs avaient organisé un mini- concert avec les chansons de David Bowie qui forment la bande sonore de Sentinelle de la pluie. Un souvenir inoubliable ! » Recueilli par J.-C. P.

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