4 février > Essai - Biographie France

En 1936, trente ans après que Dreyfus a été innocenté, Léon Blum, l’homme du Front populaire, juif, socialiste, devient président du Conseil. On aurait pu espérer le "moment antisémite" passé, un Disraeli à la française, ce juif converti à l’anglicanisme devenu Premier ministre de la reine Victoria au siècle précédent, à la tête d’une société apaisée. Il n’en est rien. La France est clivée. Gauche, droite, voire extrême gauche, extrême droite. Hitler en Allemagne, Mussolini en Italie, Staline en URSS, un vent mauvais de totalitarisme souffle sur l’Europe tout entière. Avant sa victoire, Blum avait été victime d’un attentat, blessé au couteau par un fanatique d’extrême droite (Maurras, de l’Action française, le traite de "Fleur-Blum, baptisée au sécateur"), les relents d’antisémitisme n’ont jamais été aussi forts. A la Chambre des députés, lors de son discours de politique générale, des "Morts aux Juifs !" fusent. Le député de l’Ardèche Xavier Vallat accueille le nouveau président avec des mots guère plus amènes : "Pour gouverner la France, il vaut mieux avoir quelqu’un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol qu’un talmudiste subtil." Que Léon Blum soit de parents français, de grands-parents français juifs alsaciens et que ses ancêtres paternels aient toujours porté ce patronyme "depuis que les Juifs français possèdent un état civil" comme il se donne la peine de préciser dans un article, cela importe peu aux calomniateurs.

Blum, ce sont des mesures phares : la semaine des quarante heures, les congés payés, les nationalisations, la redistribution des richesses. "L’héritier de Jaurès" allait prouver que le changement était possible par le droit et les urnes, et non pas seulement par la révolution (au congrès de Tours, en 1920, la SFIO avait opté pour la scission avec les communistes). S’il est une figure publique emblématique de la France contemporaine, le portrait qu’en brosse Pierre Birnbaum dans son Léon Blum ne le réduit pas à son rôle politique mais le restitue dans son épaisseur humaine, son environnement familial, la petite-bourgeoisie et non l’aristocratie "israélite" de Swann dans la Recherche, sa complexité psychologique : juif assimilé, sioniste et héritier de l’universalisme de la Révolution de 1789, efféminé et viril (il n’hésite pas à se battre en duel), féministe (il est pour l’amour libre avant le mariage) et homme à femmes (il s’est marié trois fois), stendhalien devant l’Eternel (il consacre une étude à l’auteur du Rouge et le noir). Des salons littéraires où il côtoie Gide et Proust - on y voit évoluer sa gracile silhouette de dandy - aux meetings politiques, en passant par le Conseil d’Etat où il est juriste et Buchenwald où l’envoie le régime de Vichy, c’est une véritable odyssée que retrace l’historien et sociologue, rendant justice à celui qui fut guidé sa vie durant par l’esprit de justice. Une raison qui lui a valu tant d’ennemis aux extrêmes, et qui lui fait écrire même dans la solitude de l’incarcération : "Le verrou de ma porte et les barreaux de fenêtre ne m’ont pas séparé de la France."Sean J. Rose

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