Il n'y a pas d'âge pour les éducations sentimentales. Mais certaines sont plus douloureuses que d'autres. Et il en va des villes comme des femmes, on ne choisit pas toujours son genre...
Un jour, Régis Franc est parti, avec femme et enfants, s'installer à Londres. Sur les motivations profondes de ce départ on n'apprendra pas grand-chose, si ce n'est peut-être le désir de l'auteur de copiner avec Paul McCartney qui semble être tout ce qu'il sache de la capitale anglaise avant son départ. Cette ignorance magnifique alliée à la barrière de la langue (Régis Franc ne semble guère disposer en anglais d'un vocabulaire supérieur à une vingtaine de mots, chacun d'eux énoncés avec un accent du Midi à couper au couteau...) ne facilite pas l'installation de l'auteur en rupture de ban. La recherche d'un home sweet home adéquat et la compréhension la moins superficielle possible des us et coutumes autochtones rythmeront les jours de l'impétrant qui devra peu à peu se défaire de toutes sortes de préjugés continentaux. Comment peut-on être anglais ? Déjà, en ne cherchant plus à faire croire qu'on puisse le devenir...
On retrouve dans London prisoner, guide de voyage que l'on recommande à tout Français en partance pour son pèlerinage chez Harrods, tout ce qui fait le prix de l'oeuvre, tant graphique que littéraire, de Régis Franc (qui l'an dernier nous avait offert son plus beau roman, Un grand oiseau blanc avec une chemise, Fayard). C'est-à-dire un humour dont la composante première serait la mélancolie. Le périple londonien est ici d'abord une recherche du temps perdu. L'égarement du narrateur ramène à la surface ses souvenirs d'enfance, et la pluie de Londres le zénith du Languedoc. Chelsea et Kensington côtoient Sète et Lézignan-Corbières, les femmes de traders en Porsche Cayenne voisinent avec les ouvriers agricoles espagnols. C'est toujours drôle et parfois très beau. Et prouve que tous les chemins, y compris ceux de la supposée perfide Albion, mènent à l'éternité selon Rimbaud : "c'est la mer allée avec le soleil".