16 août > Récit France > Emilie de Turckheim

En ces temps de barbarie, d’égoïsme, de repli sur soi, de xénophobie et de démagogie galopants, voici un livre qui fait vraiment du bien, qui réchauffe le cœur, une histoire presque trop belle pour être vraie. Et pourtant.

Fin 2016, l’écrivaine Emilie de Turckheim, son compagnon Fabrice et leurs deux fils, Marius, 10 ans, et Noé, 8 ans, parfaite famille bobo du 5e arrondissement, décident d’accueillir chez eux, pour un an, un réfugié afghan de 21 ans, Reza, sous le contrôle du Samu social. Le jeune homme a fui son pays en guerre neuf ans auparavant, est parvenu à gagner l’Europe au terme d’un périple dramatique, a tenté de s’établir en Norvège, où il est demeuré trois ans, apprenant la langue pour mieux s’intégrer. Mais on lui a refusé ses papiers et il a dû reprendre son errance, laquelle l’a conduit jusqu’en France. Son père, afghan chiite, avait été assassiné, et sa mère, tadjik chrétienne, il ignore ce qu’elle est devenue. En Norvège, il s’est fait baptiser protestant, sous le prénom de Daniel. C’est comme cela qu’il souhaite désormais être appelé. Emilie de Turckheim est elle-même protestante, croyante et pratiquante, cela a peut-être facilité le contact.

En tout cas, du 17 février au 19 novembre 2017, le couple, ses enfants et leur nouveau "grand frère" ont vécu ensemble une formidable aventure, dont Emilie, romancière mais aussi poète et animatrice d’ateliers d’écriture, tient le récit, en forme de journal au jour le jour. C’est drôle, tendre, chaleureux. Et c’est stupéfiant. Outre sa profonde gentillesse (il passe son temps à offrir des cadeaux à tout le monde, dont ses anciens compagnons d’infortune demeurés SDF), son courage (il accepte tous les boulots qu’on lui propose sans rechigner), Reza sait se glisser avec facilité dans un mode de vie qui lui est, à l’origine, complètement étranger. Il n’y a que pour la cuisine qu’il a du mal, s’obstinant à abuser de l’huile et des épices.

Il y a dans ce livre tant de scènes cocasses, émouvantes - au musée Cernuschi, le garçon admire le Bouddha de Meguro, qui lui rappelle ceux de Bamiyan, dynamités par les talibans -, épiques (les vacances à Antibes, chez les parents Turckheim, que Reza charme, surtout la mère), fraternelles (Marius et Noé sont des gamins épatants), et une seule triste: quand Daniel, qui a trouvé un travail dans un lycée des Yvelines, quitte la famille. Mais tout le monde se réjouit pour lui, et on se reverra, bien sûr. D’aucuns parleront peut-être de chance, de "bon numéro", voire de miracle. Peu importe. Cette histoire est un superbe exemple de fraternité, l’une des valeurs cardinales de notre pays. J.-C. P.

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