9 JANVIER - ESSAI France

Malaise dans la civilisation postmoderne

Malaise dans la civilisation postmoderne

Surmenage au travail, le burn-out est un syndrome qui reflète les valeurs de notre société de la performance. Dans son dernier essai, le philosophe Pascal Chabot analyse toute la portée de ce phénomène ultracontemporain.

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Créé le 03.11.2014 à 18h37 ,
Mis à jour le 07.01.2015 à 11h38

Pascal Chabot- Photo PUF

L'acédie est du point de vue de la foi le pire des péchés. Elle est un désespoir sans fond dont nul recours à Dieu n'a cure. On a beau prier, la prière ne monte pas, le croyant gît dans la nuit noire d'une existence vidée de sens. Le mot "acédie" a quitté les pages du dictionnaire et les questions théologiques n'intéressent plus personne. Mais la désespérance n'a pas disparu. L'acédie d'aujourd'hui, c'est le burn-out, le surmenage endémique de la vie de bureau, cet effondrement physique et psychique face à une somme de travail exponentielle. Le philosophe Pascal Chabot, qui consacre au syndrome une analyse percutante, Global burn-out, le qualifie de "trouble miroir", qui reflète les valeurs de notre société de la performance. "Le burn-out est une maladie de civilisation." Une civilisation du loisir et de la consommation où la technique - les robots, les ordinateurs et autres réseaux de communications -, censément faite pour libérer l'homme de son labeur, l'aliène sans fin. A savoir : sans pause (on est joignable partout) et sans objectif défini (l'efficacité pour l'efficacité devient un but en soi). Le philosophe né en 1973 pointe deux paradoxes relatifs aux victimes de burn-out. Ces "cramés" du boulot sont tout d'abord plutôt trop travailleurs que pas assez. D'autre part, ils sont parfaitement adaptés à leur environnement social. C'est à l'inverse leur adhésion aveugle au système qui, sans la contrepartie de la reconnaissance (une justification de leurs efforts), se mue en abîme d'angoisse. Pascal Chabot étaye son propos d'exemples concrets : Herbert Freudenberger, psychiatre bénévole dans un centre de désintoxication, qui dans les années 1970 fut le premier à avoir utilisé le terme "burn-out" pour décrire son propre surmenage ; un certain Crawford de la Silicon Valley, employé à résumer une trentaine d'articles scientifiques par jour, jette l'éponge et préfère réparer des motos. "Etre reconnu par une structure abstraite ne suffit pas. Ce qu'il faut, c'est célébrer ce je-ne-sais-quoi qui fait l'humain, et qui donne son sens à l'activité." Et l'auteur d'ajouter : "Le burn-out est toujours une remise en cause des valeurs dominantes : il génère les nouveaux athées du techno-capitalisme."

Après avoir passé en revue de nombreux cas d'épuisements dont le burn-out féminin dû à la pression sur les femmes à qui l'on fait endosser un rôle compassionnel, Pascal Chabot plaide pour un nouveau contrat social : "contrat technologique qui serait un pare-feu et affirmerait que le but à préserver est l'être humain et la biosphère, au service duquel doivent travailler les logiques de développement en abdiquant leur violence". Ne pas toujours jouer la montre, savoir "perdre" son temps et retrouver la flamme, pas celle qui calcine, celle qui illumine.

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