Roman/Italie 3 janvier Rosella Postorino

C'est une de ces histoires authentiques, tellement monstrueuses que si un écrivain la place dans l'un de ses romans, le lecteur peut penser qu'il exagère, abuse de son imagination. Et pourtant !

A l'automne 1943, Hitler, qui commençait à se rendre compte qu'il était en train de perdre la guerre, et dont la folie furieuse, notamment la paranoïa, progressait dangereusement, s'était pour ainsi dire claquemuré dans sa Wolfsschanze, sa « Tanière du loup », en Prusse-Orientale (actuellement en Pologne), l'un de ses QG, où il vivait entouré d'une cour de fidèles fanatisés, et d'une imposante garnison de SS. Néanmoins, et l'histoire le lui avait prouvé, il n'était pas à l'abri d'un attentat. Comme les tyrans romains, il avait notamment une peur panique d'être empoisonné. Il a donc ordonné à ses sbires, notamment au lieutenant Ziegler, un vrai sadique, de recruter dans les environs une dizaine de femmes qui seraient chaque matin transportées, en car, à la Tanière, et rentreraient chez elles le soir, à supposer qu'elles soient encore en vie. Car leur tâche, redoutable, consistait à goûter les trois repas préparés pour le Führer, afin qu'il puisse savourer sans crainte ses mets préférés. Des légumes, surtout : il était quasi végétarien.

L'ironie sinistre de l'affaire tient au fait que la population allemande commençait à manquer de tout, que la famine sévissait dans les campagnes, et que ces femmes étaient contraintes et payées (200 DM par mois) à s'empiffrer.

Parmi ce « bataillon » très spécial, Rosa Sauer, la narratrice, une jeune Berlinoise de 26 ans, dont le mari, Gregor, s'est engagé dans l'armée, et est « porté disparu », donc sans doute mort. Seule dans la capitale, elle s'est réfugiée chez ses beaux-parents, et a été réquisitionnée. Durant des mois, elle va subir un véritable calvaire, qu'elle raconte de l'intérieur, en communion fraternelle avec ses sœurs de malheur. On imagine leurs angoisses, chaque fois que l'une d'entre elles est indisposée, et leur peur panique des nazis.

Dans le cas de Rosa, un autre souci : Ziegler est tombé amoureux d'elle et, se croyant veuve, elle finit par céder à ses avances, et même à éprouver pour lui des sentiments ambigus, inavouables. Il lui sauvera tout de même la vie lors de la débâcle de l'Allemagne. On laissera au lecteur le plaisir de découvrir toutes les autres aventures qu'elle connaîtra, jusqu'à la fin de son récit. Mais l'essentiel réside dans le corps du livre, dans ce huis clos où les femmes sont condamnées à manger, non pour vivre, mais pour ne pas mourir exécutées, quitte à mourir empoisonnées.

Lorsqu'elle préparait son livre, Rosella Postorino raconte avoir appris qu'une de ces « goûteuses » était encore en vie, nonagénaire, et qu'elle avait enfin consenti à révéler son secret, à surmonter sa honte. Elle est morte avant que la romancière ne puisse la rencontrer. Mais elle lui rend aujourd'hui le plus beau des hommages.

Rosella Postorino
La goûteuse de Hitler - Traduit de l’italien par Dominique Vittoz
Albin Michel
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 22 euros ; 400 p.
ISBN: 9782226401854

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