14 septembre > Roman policier France > Brigitte Aubert

On se souvient que dans Sodome et Gomorrhe, Jupien, le prolo viril et sans scrupule, après avoir séduit Charlus, s’établit tenancier d’un bordel pour hommes, dont le très aristocratique baron sera l’un des clients assidus. Proust lui-même, sait-on, voyeur à la sexualité compliquée, ne dédaignait pas ce genre de plaisirs, ne serait-ce que pour "se documenter" et nourrir sa Recherche du temps perdu.

A l’évidence, Brigitte Aubert s’est inspirée de cette histoire, et "Monsieur Marcel", ami d’Albert Péclas, un curieux bonhomme, médecin légiste le jour, magicien de cabaret la nuit, "inverti" notoire et amant de Nijinski, est l’un des personnages qui passent dans son roman, et au Cercle des amis de l’art, le club masculin très chic de M. Alfred, près du Palais-Royal. Comme tout le gratin "gay" de la Belle Epoque : Mayol, le prince Youssoupov, Cocteau, Gide (qui ne prisait guère ce genre d’endroits)… Il y a même une scène de cocktail, désopilante, où Proust se moque de Loti, paradant en grand uniforme de marin et fardé comme une bayadère.

Tout cela compose la toile de fond des Mémoires secrets d’un valet de cœur, un roman policier totalement décalé, très original et parfaitement réjouissant. Le héros, le narrateur, André dit "la Grande Dédée", qui écrit ses Mémoires à 80 ans sonnés, est né en 1890, dans une famille misérable. Très tôt, il a commencé à vivre de ses charmes, et est entré à 15 ans chez M. Alfred, dont il est vite devenu l’un des fleurons. Travesti, comme ses congénères, Pierrette, Lolo, la Badigeon, Olga et les autres : "femmes nous voulions être, hommes nous étions", dit-il, et plutôt heureux de son sort. "Longtemps, je me suis couché de bonheur", s’amuse-t-il.

Oui mais voilà, un tueur séquentiel digne de Jack l’Eventreur se met à assassiner les garçons-filles, y compris dans les murs de l’hôtel Solignac, où Dédée officie. Fascinée par les faits divers, les méthodes d’investigation scientifique en plein essor (dans une autre vie, elle aurait rêvé d’être policier), elle va prêter main-forte au commissaire Langlois (dit Chacha, par ailleurs l’une de ses pratiques régulières) et au docteur Péclas, pour coincer le meurtrier barbare.

L’intrigue policière est sanglante à souhait, riche en rebondissements, mais l’essentiel n’est pas là. Il réside dans le personnage, "une femme avec un pénis", son style et son franc-parler, et dans le contexte. On espère que Brigitte Aubert, star du polar made in France, va vite récidiver. J.-C. P.

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