Avant-critique Roman

De livre en livre et en l'avouant à demi, Marie-Hélène Lafon met en romans sa propre histoire. Parce que c'est de l'enfance que tout procède, qu'à partir de là on se construit − ou qu'on se reconstruit quand ladite enfance n'a pas été un « vert paradis ». Ce qui semble être son cas.

Les Sources est organisé en un triptyque, qui s'ouvre en 1967, les samedi et dimanche 10 et 11 juin. Le samedi, en général, Pierre, le père, bat sa femme comme plâtre. « À froid », si l'on ose dire et depuis les débuts de leur mariage, en 1959. C'est un paysan cantalou courageux, travailleur. Il ne boit pas mais est brutal, bestial. Il lui reproche d'être devenue molle, sale, négligée, et sa peur de lui l'excite. Ensuite, le dimanche, ils vont passer la journée, comme si de rien n'était, chez ses parents à elle, fermiers à Fridières, ou chez les siens à lui, paysans à Soulages. Ils ont trois enfants : Isabelle, 7 ans, Claire, 5 ans (qui pourrait donc être Marie-Hélène, née à Aurillac en 1962), et Gilles, 4 ans. Le père préfère nettement ses filles, dont il pressent qu'elles feront de bonnes études, à son fils, trop « couvé », trop proche de sa mère. Mais ce dimanche-là, il se passe quelque chose d'inhabituel. Profitant de la sacro-sainte sieste de son mari, la femme battue, après tant d'années de souffrances, de non-dits, d'angoisse, se confie à sa mère. « Tu ne remonteras pas, plus jamais », lui dit celle-ci. Séparation, donc, puis divorce en 1970, non sans avocats, procès, accusation d'abandon du domicile conjugal. Et puis il y a la ferme, dont chacun des époux possède la moitié. Parce que c'est sa vie, son métier, Pierre a racheté les parts de sa femme.

Cela, c'est raconté dans le second volet du tableau, le 19 mai 1974, jour de l'élection de Giscard à la présidence. Un Auvergnat, certes, c'est mieux que l'autre, pense Pierre, mais il préférait Pompidou. Maintenant qu'il est seul, qu'il ne voit ses enfants que de temps en temps et aux vacances (Gilles, à peine), il réécrit toute l'histoire, depuis son service militaire au Maroc, planqué, chauffeur d'un colonel et amant de Suzanne, jusqu'au présent. À aucun moment il ne regrette ses actes, et il rumine ses griefs contre son ex-femme : saleté, négligence, mollesse, laideur... Cette brute, en revanche, est pleine d'amour pour ses filles.

C'est l'une d'entre elles, d'ailleurs, Claire, qui revient à la maison le 28 octobre 2021. Le père est mort, sans « suite ». La maison est vendue, la ferme va être reprise. Du passé, il lui restera à faire un livre, ce livre âpre, bouleversant de simplicité, que nous venons de lire.

Marie-Hélène Lafon
Les sources
Buchet Chastel
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 16 € ; 128 p.
ISBN: 9782283036600

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