Portrait

Maxime Catroux : haute culture

Maxime Catroux - Photo Olivier Dion

Maxime Catroux : haute culture

Nommée en janvier au conseil de surveillance du Monde, Maxime Catroux, directrice littéraire au département Savoir de Flammarion et directrice de la collection « Climats », mène avec élégance et discrétion une carrière prestigieuse dans l'édition. _ par Pauline Leduc

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Par Pauline Leduc,
Créé le 15.03.2019 à 12h22

Après deux heures d'entretien, Maxime Catroux sort son CV. Soucieuse de bien faire, elle l'a apporté « au cas où ». De mémoire de Livres Hebdo, on n'avait jamais vu d'éditeurs expérimentés apporter ainsi leur curriculum vitae. D'autant qu'en matière d'expérience, cette directrice littéraire au département Savoir (celui des sciences humaines) de Flammarion, notamment éditrice de Christophe Guilluy, Jean-Claude Michéa ou Fabrice Luchini, et directrice depuis dix ans de la prestigieuse collection « Climats » en impose. Sans jamais chercher à épater la galerie.

Ledit CV fait apparaître les multiples prix littéraires remportés par les ouvrages qu'elle a édités. Prix du Livre européen pour Une tombe au creux des nuages de Jorge Semprún et prix Décembre pour Philosophe sentimentale de Frédéric Schiffter en 2010, prix Sade 2011 avec Pornotopie par Beatriz Preciado ou encore prix Méditerranée étranger 2018 pour Une odyssée de Daniel Mendelsohn. Elle n'en avait jusqu'alors pas touché un mot. « Cela ne me semblait pas essentiel », balaye-t-elle tout en ne masquant pas sa fierté. Même posture quant à sa nomination, en janvier, au conseil de surveillance du Monde après que Madison Cox, l'ayant droit de Pierre Bergé, lui a confié le siège du mécène décédé en 2017. « Nous nous connaissions bien puisque j'étais la filleule d'Yves Saint Laurent », glisse-t-elle simplement.

Maxime Catroux n'est pas femme à se mettre dans la lumière. Foncièrement élégante, de ses lunettes à son phrasé, elle cultive une certaine réserve non dépourvue de chaleur tout en brillant par une intensité peu commune. Arrière-petite-fille du général Catroux, elle est la fille de Betty Catroux, icône de mode et muse d'Yves Saint Laurent, et de François Catroux, architecte d'intérieur renommé. « Je ne viens pas d'une famille de grands lecteurs mais j'ai beaucoup lu, très tôt. » Loin des paillettes, l'adolescente développe un rapport « très compulsif » à la lecture. « Je me souviens d'une nuit où, venant de finir Crimes et châtiments, je me sens en manque et vais dans la salle de bains pour lire les notices de médicaments afin de me calmer. » Dès cette époque, la jeune fille sait qu'elle veut devenir éditrice. Elle entame des études de philosophie à la Sorbonne, qu'elle interrompt pour un grand voyage de deux ans. Une période de « quête et de crise » durant laquelle elle traverse à pied la Turquie et Israël, en passant par Chypre.

Esprit libre et brillant

A son retour, Maxime Catroux se lance dans des études de littérature comparée. Elle consacre son mémoire à Oscar Wilde. A cette époque, elle fait la connaissance d'Héloïse d'Ormesson. Toutes deux gravitent dans un même cercle d'amis. « Elle avait une vingtaine d'années. J'ai tout de suite été impressionnée par sa maturité, son esprit libre et brillant qui portait sur le monde un regard très singulier », se souvient Héloïse d'Ormesson, qui retrouve en la jeune femme « cette vocation précoce de ceux qui ont su très tôt qu'ils deviendraient éditeurs ». L'éditrice, qui officiait alors chez Flammarion, lui propose d'être lectrice. Dans le même temps, Maxime Catroux effectue aussi des lectures pour Ivan Nabokov (Plon) ou Nicole Lattès (Nil). Par le « hasard des rencontres », elle décroche en 1999, un stage aux sciences humaines de Flammarion et devient, après quelques mois, l'assistante de Monique Labrune. « Elle a vite gagné en autonomie et si on a énormément travaillé ensemble, on a aussi beaucoup ri », se rappelle l'actuelle directrice des Puf. « C'était une école de la rigueur, mais c'était fantastique de découvrir à ses côtés le métier », dit pour sa part, l'éditrice.

Dans l'hôtel particulier du quai de Conti, où Flammarion a alors des bureaux, Maxime Catroux s'épanouit « dans une ambiance très Barry Lindon ». Elle ne quittera plus cette maison dans laquelle elle a pu « grandir sans jamais s'ennuyer » et où elle a « conquis le droit de publier ce qui [lui] plaît ». Guidée par son appétit de découverte et un goût certain pour « le domaine des idées », l'assistante devient éditrice de la collection « GF Philosophie » en 2005 et pour la collection « Champs ». Quatre ans plus tard, Gilles Haéri la nomme directrice de la collection « Climats » et directrice littéraire au département Savoir où elle développe les essais.

Sans cynisme

Exigeante, peu encline aux discours sur l'édition, Maxime Catroux vit son métier comme un « devoir d'ouverture, de curiosité et de questionnement ». Grande lectrice de presse, passionnée de sociologie, l'éditrice n'a pas attendu l'actualité pour se pencher sur les questions de laïcité, de condition animale ou de féminisme. Elle parle avec passion du premier livre de Manon Garcia On ne naît pas soumise, on le devient (2018). Cet essai sur l'envers de la domination masculine illustre bien la tonalité impulsée depuis dix ans à la collection « Climats » qu'elle enrichira ce printemps de récits. « Je choisis des textes engagés qui me surprennent ou m'excitent par l'originalité de leur approche. J'essaye d'ouvrir notre regard français vers l'étranger en proposant des points de vue paradoxaux qui sortent de l'entre-soi. » Pour cette ancienne boulimique de romans, le « patronage littéraire » est un facteur primordial tant elle est convaincue que « littérature et sciences humaines sont deux domaines très poreux ».

Cette attention particulière à la qualité littéraire est, selon Sophie Berlin, une des spécificités de l'éditrice qu'elle côtoie depuis plus de quinze ans. « Maxime ne renonce jamais à la complexité des choses, ses essais ne sont pas manichéens ; c'est rare », précise aussi la directrice du département Savoir de Flammarion qui décrit une collègue « drôle, loyale, discrète, égale d'humeur, ayant le sens de la fête et qui rend le quotidien savoureux ». C'est aussi une éditrice qui a su « ne pas s'enfermer dans une grille de lecture sciences humaines et peut, sans snobisme, publier des textes très différents, réconciliant ainsi les contraires ». Maxime Catroux édite des auteurs variés, allant des œuvres complètes de Platon et Aristote, à Daniel Mendelsohn, en passant par John Eliot Gardiner, Nella Larsen, mais aussi Diane von Fürstenberg ou Fabrice Luchini. L'acteur, qui l'a connue enfant, loue « son sérieux, sans esprit de sérieux et sa passion sans cynisme ». « Elle a réussi à me convaincre d'écrire grâce à sa capacité d'enthousiasme, à son affection et à son élégance. »Comédie françaises'est écoulé à plus de 140 000 exemplaires et a remporté le prix de la Coupole 2016. Evidemment, ça non plus, elle ne l'avait pas souligné.

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