Mexique

Mexique : Le nouvel eldorado

Thomas Piketty et son El capitalen el siglo XXI en vedette sur le stand de Fondo de cultura económica à la Foire du livre de Guadalajara 2014. - Photo Mylène Moulin

Mexique : Le nouvel eldorado

Détrônant l’Argentine sur le marché des droits en Amérique latine, la patrie de Carlos Fuentes est devenue la porte d’entrée pour les éditeurs français qui souhaitent pénétrer le continent. Radiographie d’un marché énergique et avide de traductions.

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Par Mylène Moulin,
Créé le 16.01.2015 à 13h34

On parle souvent du Mexique comme d’un pays non lecteur, où le livre, réservé à une élite intellectuelle, tient une place secondaire. Malgré de grandes disparités dans l’accès à la lecture, une loi du prix unique inefficace et un réseau de librairies éclaté, de profondes mutations traversent le marché du livre. L’édition généraliste cherche à capter de nouveaux publics : classe moyenne aisée, étudiants et parents. A cet effet, les maisons mexicaines diversifient leur offre en renforçant notamment leurs relations avec les éditeurs étrangers. Une attitude payante puisque sa foire annuelle, qui s’est tenue à Guadalajara début décembre, draine désormais agents et responsables de droits du monde entier. Traditionnellement fréquentée par Gallimard, le Seuil ou Hachette, elle attire aujourd’hui des éditeurs tels que Bragelonne, Auzou, Ricochet, Talents hauts ou encore Dargaud, Le Lombard et Dupuis.

Séduits par le dynamisme du secteur éditorial au Mexique, les Français viennent y vendre des droits et prendre le pouls du marché local et régional. La position stratégique du pays et le développement de filiales d’éditeurs mexicains à l’étranger en font un partenaire privilégié pour la diffusion de contenus dans la zone hispanophone. En 2011, Siglo XXI, qui dispose d’un bureau en Argentine, a par exemple racheté les espagnols Biblioteca Nueva, Anthropos et Salto de Página, asseyant ainsi sa présence en Espagne et en Amérique du Sud. Le jeune éditeur indépendant Sexto Piso, bien représenté sur le continent américain grâce à sa propre entreprise de distribution, rayonne aussi en Europe depuis sa filiale à Barcelone.

Chercher la tendance

"Nous essayons de trouver des penseurs et des écrivains actuels et jeunes qui seront des références dans leur domaine dans quinze ans." José Maria Castro, Siglo XXI- Photo MYLÈNE MOULIN

Partenaires historiques des éditeurs de sciences humaines au Mexique, le Fondo de cultura económica (FCE) et Siglo XXI sont en demande de nouvelles tendances. A Siglo XXI, on cherche par exemple les nouveaux Bourdieu, Barthes et Foucault. "Nous essayons de trouver des penseurs et des écrivains actuels et jeunes qui seront des références dans leur domaine dans quinze ans", explique José Maria Castro, gérant de la maison. Pour le FCE, la grande maison d’édition publique du Mexique qui a récemment traduit plusieurs ouvrages publiés à La Découverte, l’heure est à la diversification. "Notre défi est de varier les sources de provenance de nos nouveautés. Nous sommes de plus en plus intéressés par les maisons plus petites qui ont des propositions originales", explique Tomás Granados Salinas, son directeur éditorial.

A leurs côtés, une nouvelle génération d’éditeurs comme Almadía, Aldus et Sexto Piso réalisent un vrai travail de défrichage en littérature, dans le domaine de la pensée ou en poésie. Du genre hipster sérieux, ce dernier compte un peu plus de 200 titres à son catalogue dont 70 % de traductions. Pascal Quignard, Yves Bonnefoy, François Augiéras, Jacques Abeille y occupent une place de choix. Editeur au Mexique de Golo et de Tardi, Sexto Piso est aussi l’un des seuls, avec La Cartonera, à s’intéresser au roman graphique français.

Envie de jeunesse

Enfin, une pléiade de tout petits éditeurs au catalogue ouvert sur l’international viennent compléter le panorama. Peu d’entre eux jouissent d’une réelle visibilité en librairie, mais ils diffusent leur production via les foires et les salons ou leur site Internet. C’est le cas de la maison Arlequín : spécialisée dans la littérature contemporaine brève (microrécit, nouvelle, poésie en prose, essai éclair), elle publie beaucoup d’auteurs étrangers, coréens, catalans, slovènes… "Notre positionnement comme éditeur de niche nous a permis de créer une relation de confiance avec nos lecteurs. C’est ce qui nous a permis de vivre aussi longtemps", explique Felipe Ponce qui a créé la maison il y a vingt ans.

"On n’hésite pas à faire un livre avec peu de texte ou sur des thèmes polémiques ou tabous à l’école" Paulina de Aguinaco, Océano Travesía- Photo MYLÈNE MOULIN

Si la majorité des traductions au Mexique concerne encore la littérature et les sciences humaines, la jeunesse est un secteur en pleine expansion. Longtemps marginalisé, il suscite un intérêt croissant dans la société mexicaine et monopolise l’attention de petits éditeurs spécialisés comme Tecolote, Libros del Escarabajo ou Petra. "Ce qui nous manque ici, c’est un travail de fond sur l’éducation visuelle et artistique, l’exploration esthétique et celle de différents langages. Nous avons de très bons illustrateurs mais nous n’avons pas su les exploiter. Notre rôle est de montrer ce qui peut se faire et d’apporter au lecteur une ouverture sur le monde", explique l’éditrice Peggy Espinosa, qui publie en espagnol Anne Crausaz, Elisabeth Floch, Jacques Pasquet et Louis Rigaud au sein de sa maison Petra ediciones.

A une autre échelle, le travail de traduction de la marque mexicaine Océano Travesía a permis de rendre disponibles les albums d’Hervé Tullet, Matthieu Maudet, Jean Maubille ou les romans de Moka sur le marché latino-américain. Même si son éditrice, Paulina de Aguinaco, reconnaît que la littérature jeunesse anglo-saxonne prédomine au Mexique, elle observe avec curiosité les ouvrages proposant d’autres modes de narration graphique. "Nous publions des ouvrages qui diffèrent de ce qu’attendent les lecteurs par tradition : on n’hésite pas à faire un livre avec peu de texte ou sur des thèmes polémiques ou tabous à l’école", détaille la jeune femme. Un parti pris assez osé dans une société où parents, bibliothécaires et instituteurs sont plutôt frileux et associent encore difficilement les notions de lecture et de plaisir.

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