3 mars > Correspondance France

Henri Michaux, de là où il est, doit sans doute fulminer. Encore un, Jean-Luc Outers, qui est passé outre à sa volonté expresse : "Je brûle toutes les lettres, écrivait-il en 1952 à son ami de jeunesse Franz Hellens, son compagnon à la revue Le Disque vert, souhaitant qu’on en fasse autant des miennes." Raté : sa correspondance avec le poète belge a été publiée chez Fayard en 1999 (Sitôt lus : lettres à Franz Hellens, 1922-1952).

En voici une autre, miraculée et plutôt atypique pour un écrivain : HM, comme il se désignait lui-même et signait ses œuvres graphiques, a passé plus d’un demi-siècle, des années 1930, quand son œuvre commence à être connue et reconnue, jusqu’à sa mort, fin 1984, à essayer de gommer sa présence terrestre, refusant photos, interviews, biographies et, surtout, tous les honneurs, hommages, prix littéraires, numéros spéciaux de revues (sauf une, L’Herne, en 1966), représentations de ses textes à la scène… Jusqu’au passage de ses livres en collections de poche, revendiquant son droit à la plaquette bibliophilique pour happy few et à n’écrire que pour un ou deux milliers de lecteurs. Il a même rejeté, en 1983 et 1984, son entrée in vivo dans la prestigieuse "Bibliothèque de la Pléiade", que lui proposait Claude Gallimard. L’un de ses correspondants, l’un de ses souffre-douleur, avec ses éditeurs Jean Paulhan (d’une patience de martyr), René Bertelé ou Robert Bréchon.

Tétanisé à l’idée de subir un quelconque enfermement, de se voir "mettre en cage", Michaux, la plupart du temps d’une exquise courtoisie, pouvait se montrer ferme, voire cinglant, dans ses lettres. "Encore une lettre - non - Non ! et Non ! Et Non !" (à Robert Bréchon, en 1960). Ou moqueur : "J’espère la prochaine fois être traduit en araméen ou en maya", écrit-il en 1984 à une traductrice américaine pleine de bonnes intentions. On mentionnera encore le grand prix national des Lettres que Malraux, ministre de la Culture, lui fit attribuer en 1965, récompense de prestige et aussi manne financière pour un homme qui vécut toujours modestement de sa plume et de son pinceau. Refus indigné de Michaux : "[…] si j’acceptais. Ils seraient fichus de me coller la Légion d’honneur".

Bien sûr, on admire et on respecte cette intégrité, cette intransigeance. Mais, lecteur fervent de Michaux, on ne peut que se réjouir que sa compagne et ayant droit, Micheline Phankim, ait, bien après la mort de HM, autorisé les poches et la "Pléiade". Ainsi qu’un certain nombre de travaux, comme celui de Jean-Luc Outers, précieux et espiègle. Finalement, Michaux s’en serait peut-être amusé. J.-C. P.

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