Un ami libraire me racontait l’autre soir l’anecdote suivante : un client se présente au comptoir et demande des Le Clézio. Il n’y en a plus pour l’instant, c’est en réimpression. Agacé, le client réplique en partant : « Quand même il a le Nobel… ! Y’en a marre, à chaque fois que je cherche un livre c’est pareil, vous n’en avez plus ! » Mon ami s’abstint de lui répondre que s’il avait voulu découvrir Le Clézio deux mois auparavant, il aurait pu, et que les œuvres d’un auteur, fut-il nobélisé, ne s’imprimaient pas en deux jours. Habituelle ruée sur un livre primé ou multichroniqué – uniques vecteurs avec le « succès confirmé », le « scandale - événement dont on parle », ou le bouche-à-oreille souvent aptes à faire vendre (beaucoup) un livre. Il s’abstint également de faire remarquer qu’il s’agissait là d’une expression de goût suivant la mode du moment, et qu’il existait des centaines, voire des milliers d’autres auteurs qui n’attendaient que d’être « découverts ». J’avais entendu quelques jours plus tôt une critique, légèrement agacée par une « mode » Pynchon, rejetant son dernier roman qu’elle avouait n’avoir pas pu lire en entier, ça lui était tombé des mains. Ce qui m’étonnait là était moins son goût (elle a bien le droit de ne pas aimer Pynchon) que la manière dont elle l’exprimait, il me sembla qu’elle ne voulait pas se « prendre la tête ». Dommage, pour un auteur bien au-delà des modes. On les déplore ou on les suit, s’y attache ou s’en détourne. L’éphémère est éternel.   Un auteur américain pas très connu mériterait pourtant d’y être, lui, à la mode : Tim Dorsey. Un autre ami m’en avait parlé, j’avais lu Florida Roadkill , excellente course-poursuite de gangsters déjantés, « tarantinesque », ça se confirme, et mieux encore, dans un de ses romans qui vient de sortir en poche chez Rivages : Triggerfish Twist . Triggerfish, c’est le nom de la rue principale, le pivot du récit qui emmêle le trio de fous drogués Serge, Coleman, et Sharon, la gentille famille moyenne Davenport, et quelques voisins surprenants… Twist, c’est pour Twister, ce jeu avec un tapis géant, des couleurs, et un dé qui impose des figures acrobatiques aux participants : main gauche sur bleu, pied droit sur rouge, etc. Sauf qu’ici, en plus d’être drôle, Tim Dorsey passe en mode majeur en étant malin : il ajoute un promoteur immobilier sous speed, un vendeur de voitures macho, quatre vieilles boursicoteuses et un banquier cadre sup’ à son cocktail floridien, désespérément américain, absolument détonnant. Argent + défonce + arnaques = chaos. Au pays du reality-show, le spectacle est partout et les dégâts considérables. Une seule solution pour s’en sortir : être un gangster intelligent, sensible, passionné, et… en colère ! Underground rules, baby .   S’il y a bien un auteur qui, en revanche, n’est pas à la mode, ni très connu du public non plus, c’est Christian Oster. Son minimalisme apparemment léger m’a d’abord saisi lors d’une insomnie avant d’accompagner quelques fins de soirée. Entraîné par des descriptions fines et précises d’objets, de relations et de personnages simples, compliqués, à la fois nets et flous, sans originalité trafiquée (et pourtant bien fabriqués), je contemplai les détails et les enchaînements (en mode mineur) et fus surtout saisi par les fins de chapitre, une en particulier parce que je pratiquai cette activité moi-même fréquemment, tête en l’air, « l’œil vaguement levé vers les hauteurs de la pièce, sur une horloge qui n’existait pas . » Puis j’étais pris par la lenteur et la distance, le voyage de ces Trois hommes seuls qui croisaient trois femmes seules : les micro-événements se précipitent, l’inespéré arrive sous forme d’un dédoublement – on ne sait plus qui l’on est et qui sont les autres, que devons-nous faire et pourquoi – on ne nage ni ne plonge mais c’est tout comme, troublé par une phrase, captivé par un doux mystère, pris par le rythme du morceau, l’histoire se termine, sur une merveilleuse note, en suspens.
15.10 2013

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