avant-portrait > Alexandre de Lur Saluces

AFargues, petite commune près de Langon, tout est noble. Le château, forteresse construite en 1306 par le pape Clément V (celui du Château Pape Clément), où s’est installée en 1472 la famille de Lur Saluces. Il a brûlé en 1687. Mais ses "ruines", en partie somptueusement restaurées, sont impressionnantes. Le propriétaire, le comte Alexandre, s’est installé ici en 2004, après son éviction de la direction d’Yquem par LVMH, sur fond de bisbilles fratricides. Descendant d’une illustre famille de la noblesse d’épée, moitié franconienne (les Lur), moitié piémontaise (de Saluzzo, où se situe la source du Pô), tout le monde l’appelle respectueusement "Monsieur".

Modestie, discrétion, élégance sont les vertus cardinales de l’aristocratie. Le courage aussi, de repartir après une défaite, de se battre pour sa passion : ce vin de Sauternes auquel il a consacré sa vie depuis 1968, quand le comte Bertrand, son oncle, l’avait appelé auprès de lui à Yquem. Noble, enfin et surtout, cette "pourriture" sans qui les Châteaux d’Yquem et de Fargues, et tous les grands crus du Sauternais, n’existeraient pas. Botrytis cinerea, ce champignon microscopique qui s’attaque aux grains de raisin, en fin de saison, et que l’homme a appris à domestiquer afin de réaliser ce vin d’exception, le sauternes. "Un miracle de la nature", explique Monsieur, jamais si heureux que lorsqu’il arpente ses 15 hectares de vigne, qui produisent environ 15 000 bouteilles par an. "Soit un rendement d’un verre de vin par pied", précise-t-il, pour rappeler la complexité du travail de vendange et de vinification de ce nectar incomparable, "un kaléidoscope de saveurs qui étourdissent et qui changent". Notre hôte est aussi poète, à sa façon. Comme Frédéric Dard, aficionado du Château d’Yquem, qu’il appelait "l’apothéose du goût".

Faire kiffer le sauternes

Alexandre de Lur Saluces avait déjà pris la plume, en 1999, publiant La morale d’Yquem (coédition Grasset/Mollat), recueil d’entretiens avec le journaliste écrivain Jean-Paul Kauffmann, ami fidèle, lequel postface son nouveau livre. Il y explique ses principes, son métier, sa philosophie. Cette conscience de n’être que le "dépositaire" d’une tradition, d’un domaine. La transmission, à Fargues, est assurée. Son fils Philippe travaille à ses côtés.

Mais D’Yquem à Fargues se veut aussi "un manifeste". Les Lur Saluces entendent lutter contre "la désaffection pour les sauternes, même chez les Japonais, pourtant grands amateurs depuis l’empereur Meiji". Et alerter l’opinion sur la menace qui pèse sur le vignoble : la construction de la future ligne LGV risque de bouleverser le microclimat, de chasser le brouillard humide, d’effaroucher Botrytis. Contre cela, il faudrait, par exemple "le classement de tout le Sauternais par l’Unesco, comme pour la Champagne et la Bourgogne". Le prochain combat de Monsieur, qui veut à nouveau "faire kiffer le sauternes au monde entier". Jean-Claude Perrier

Alexandre de Lur Saluces, D’Yquem à Fargues. L’excellence d’un vin, l’histoire d’une famille. Gallimard. Prix : 39 euros, 192 p., Sortie : 14 novembre, ISBN : 978-2-07-269485-1

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