1er mai > Roman France > Roland Brival

On doit à Roland Brival le récent Nègre de personne (Gallimard, 2016) consacré au poète Léon-Gontran Damas, né à Cayenne et fondateur du mouvement de la négritude avec Césaire et Senghor. Loin de sa Martinique natale, l’écrivain, musicien et plasticien livre ici un gracieux roman japonais, une biographie ponctuée de cérémonials initiatiques et de rituels de transmission, qui rend un hommage posthume à "un homme unique, hors du commun, et véritablement fascinant, mais dont la postérité ne gardera pourtant aucune trace - comme il sied à tout génie dont la notoriété n’aurait connu que le cercle de quelques rares initiés" : Shiro Sato, "Monsieur Sato" pour le narrateur, qui fait sa connaissance dans les années 1980, dans la modeste boutique de Pigalle où le vieil artisan recevait sur rendez-vous, confectionnant entièrement à la main des corsets sur mesure.

D’Osaka dans les premières décennies du XXe siècle au Paris de l’après-guerre, où Monsieur Sato s’installe à 40 ans, vingt-cinq ans après avoir décidé de se consacrer corps et âme à ce métier traditionnellement réservé aux femmes, l’ami biographe reconstitue la jeunesse du futur maître des corsets, un itinéraire jalonné de rencontres édifiantes : une riche cliente de sa mère, à qui il doit ses premières émotions sexuelles, un maître des couleurs, spécialiste de l’indigo, et sa troublante fille, un moine aux paroles énigmatiques.

Mais la première et principale initiatrice est sa mère dont il sera l’apprenti studieux. Et les leçons de cette artiste reconnue dépasseront largement le cadre de l’acquisition d’une technique de broderie millénaire. Car dans la connaissance de cet art sophistiqué où l’érotisme est une sagesse, imprégnée de spiritualité bouddhiste et de parades chorégraphiées, il est moins question d’assouvissement que de maîtrise. Il s’agit d’apprendre à canaliser ses désirs pour diriger sa force vitale. Un parcours fait d’ascèse et de renoncement, de délicatesse et de cruauté. Une terrible épreuve d’admission subie à 18 ans scellera d’ailleurs définitivement le sort de l’adolescent et le dévouera pour le restant de sa vie à cette haute mission qui, l’avait averti sa mère, n’exige que des devoirs et n’offre aucun privilège. V. R.

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