9 janvier > roman France

Julius Stein est majordome général. Le héros du nouveau roman de Pierre Assouline est souabe, « catholique de naissance et de conviction ». Monsieur Stein est l’employé du prince de Hohenzollern, son maître illustre. Il travaille à cinq cent soixante-dix mètres d’altitude. A Sigmaringen, dans le sud de l’Allemagne, enclave prusse en pays de Bade dotée de trois gares.

Nous sommes en 1944. Le château de trois cent quatre-vingt-trois pièces où officie le majordome a été réquisitionné. Les treize membres de la famille princière ont été envoyés à Wilflingen, en résidence surveillée chez le baron von Stauffenberg. Les serviteurs, eux, s’apprêtent à recevoir de nombreux Français ayant fui Vichy.

D’abord, voilà le maréchal Pétain et son épouse, puis le docteur Bernard Ménétrel, le général Debeney, l’amiral Bléhaut, le lieutenant de vaisseau Sac, un valet de chambre, un commissaire de police, trois chauffeurs, un motocycliste, des gouvernantes et une intendante. La troublante mademoiselle Jeanne Wolfermann qui ne va pas laisser indifférent Stein et va perturber « le confort de [s]es évidences ». Dans une deuxième foulée les rejoignent ensuite le président Laval avec son épouse, leur chauffeur et les ministres de son gouvernement.

N’oublions pas de mentionner la présence en ces lieux de Son Excellence Otto Abetz. L’ambassadeur d’Allemagne à Paris qui finira par être destitué par M. von Ribbentrop « pour avoir échoué à convaincre le maréchal et le président à se mettre au travail ». La vie de château exige protocole et étiquette. Avec son équipe, Julius Stein se charge ainsi de veiller au bon écartement entre les couverts. Surtout, il lui faut déployer « autant de tact que de tactique ». Garder une maîtrise absolue des gestes et des paroles. Servir de messager ou d’intermédiaire. Assurer l’accueil et le suivi du bureau des plaintes…

Très documenté sur l’époque et les personnages qu’il met en scène, Pierre Assouline orchestre habilement son théâtre d’ombres. L’auteur du Dernier des Camondo (Gallimard, 1997, repris en Folio) et de Lutetia (Gallimard, 2005, repris en Folio) montre l’ennui et le désœuvrement des émigrés, le froid qui monte, la défaite qui approche chaque jour un peu plus. Un maréchal Pétain, enfermé « dans son refus et sa solitude comme dans un système », et un président Laval qui s’évitent et se détestent cordialement.

Alors que l’étau ne cesse de se resserrer autour de ses protagonistes, le romancier entraîne également le lecteur en ville. Au café Schön, réservé aux clients français, où s’attablent l’écrivain Lucien Rebatet et la bande de Je suis partout, ainsi qu’un « individu de grande taille, voûté, maigre mais solide, frappant par son regard halluciné ». Louis-Ferdinand Céline, le docteur Destouches, qui sous-loue à Sigmaringen un cabinet dentaire…

Alexandre Fillon

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