6 JUIN -HISTOIRE Angleterre

Et si Napoléon n'avait pas existé. C'est tellement gros qu'on aurait envie de dire : vive l'ampleur ! C'est pourtant la démonstration d'un théologien anglican qui fut archevêque de Dublin. Dans son traité concernant les "doutes historiques sur Napoléon Bonaparte", Richard Wathely (1787-1863) engage un subtil jeu d'esprit autour des notions de vrai et de faux. Sous le titre Peut-on prouver l'existence de Napoléon ?, Vendémiaire propose le texte de 1828, dans la traduction de 1835, avec toutes ses variantes ainsi qu'un dossier complet sur la personnalité de ce curé de choc.

Wathely présente l'empereur comme un croque-mitaine décrit par des anecdotes qui reposent sur des on-dit, colportées par une presse en mal de sensation, avec des témoins peu crédibles. Il s'agit donc d'une vaste manoeuvre européenne puisque les journaux français comme les journaux britanniques ont rapporté à l'envi cette fable qui arrange les puissants et fait peur aux peuples.

Wathely en veut pour preuve que lorsqu'il y a désaccord sur cette vulgate, il n'intervient pas sur un événement minime mais majeur, comme le fait de savoir si Napoléon commanda bien en personne la charge du pont de Lodi. En filigrane, c'est toute la méthode historique qui est ici mise en doute, de manière inversée, par l'absurde. Une démonstration par le "nonsense" en quelque sorte.

Bien sûr Napoléon a existé ! D'ailleurs Emil Ludwig (1881-1948) lui a consacré une biographie en profondeur. Son Napoléon, publié en 1928 et traduit chez Payot en 1985, reparaît à point nommé. Le journaliste allemand, qui sera un farouche opposant au nazisme, montre ce qu'on peut faire avec des citations judicieusement choisies et du talent. Une fresque romanesque, un récit vivant qui s'intéresse à la psychologie du personnage au moins autant qu'à ses batailles et à ses réformes.

C'est là qu'on retrouve Wathely, bien moins délirant qu'il n'y paraît, notamment sur le caractère de Bonaparte. Avec cette pointe d'humour qui vous pique en vous chatouillant, il souligne que sur ce sujet aussi les opinions divergent. Il faudrait ainsi croire non en un, mais en plusieurs Bonaparte. Mais alors, quel est le vrai ? Une manière de montrer qu'il n'y a pas de vérité historique figée, officielle, imposée par décret. Dans l'excellente postface à ce pamphlet, Jean-Clément Martin signale l'acuité du religieux en guerre contre le scepticisme de Hume et la remise en question historique des Evangiles. De quoi donner à réfléchir sur la place du témoin, la propagande et toutes les manipulations de l'histoire comme Les protocoles des sages de Sion, les négationnismes de tous ordres ou les théories du complot concernant les attentats du 11 septembre 2001. Derrière la satire, ce n'est pas Napoléon qui est visé mais bien ce qui fonde la véracité d'une information.

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