Ne tirez vraiment pas sur l’oiseau moqueur

Ne tirez vraiment pas sur l’oiseau moqueur

Les mésaventures subies par le roman d’Harper Lee depuis la mort de l’auteur il y a deux ans posent plus largement la question des conditions de mise en œuvre du droit au respect de l’œuvre, notamment lors d’adaptations audiovisuelles. 

Depuis la mort d’Harper Lee, le 19 février 2016, son célèbre et formidable roman, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, subit nombre de mésaventures.
Le livre a été d’abord retiré de certaines bibliothèques scolaires de l’État de Virginie en 2016, à peine quelques mois après le décès de son auteure, Prix Pulitzer en 1961. 
C’est l’usage du mot « nègre » qui a aussi incité les écoles de Duluth, dans le Minnesota, à bannir l’ouvrage des programmes scolaires. Sa lecture est ainsi devenue facultative alors qu’elle était obligatoire. Dans le Mississipi, Harper Lee avait déjà connu le même sort une censure similaire en octobre 2017. Ajoutons que le même sort a été réservé à Huckleberry Finn de Mark Twain. Les professeurs d'anglais ont critiqué la mesure, puisqu’ils n’ont pas même été consultés, tout en admettant le malaise et la gêne éventuels de certains élèves.
Stephan Witherspoon, qui dirige la section locale de la National Association for the Advancement of Colored People (association nationale pour la promotion des gens de couleur), estime pour sa part : « Il y a beaucoup d'auteurs qui ont signé de meilleurs livres, et qui peuvent prodiguer le même enseignement sans dégrader nos semblables. Je suis heureux que cette décision ait été prise, même si elle aurait dû l'être il y a 20 ans, au moins. Allons de l'avant et travaillons ensemble pour faire de l'école un lieu pour tous nos enfants, pas seulement quelques-uns. »

Erreurs de cibles

Comme souvent lorsqu’il s’agit de culture, les accusations de racisme se trompent de cibles et de combats. Rappelons en effet que Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur a précisément été écrit dans l’objectif de provoquer un malaise chez le lecteur américain de 1960 et l’amener à rejeter la ségrégation raciale, dont l’abolition n’interviendra que quatre ans plus tard grâce au Civil Rights Acts
Les héritiers d’Harper Lee se battent encore sur le front des adaptations. Une version théâtrale, qu’ils considèrent comme inacceptable, les a fait saisir la justice américaine. C’est le scénariste oscarisé Aaron Sorkin – qui a signé notamment The Social Network – qui a mis le feu aux poudres en modifiant le personnage clé d’Atticus Finch, l’avocat du livre. Une version de cette réécriture a été soumise à la succession, qui a décidé de demander aux juges d’interdire le spectacle prévu à Broadway.
         Il s’agit là d’une affaire où les deux parties interprètent chacune leur version du contrat d’adaptation, en particulier pour avoir si le texte a été fourni pour simple avis, voire pour information, ou bien pour validation.
       
Juste milieu 

En France, au-delà des accords conclus, les auteurs et leurs ayants-droits disposent toujours d’un droit moral.
A ce titre, l’article L. 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) prévoit le « droit au respect de l’œuvre ». Ce droit interdit tout acte qui pourrait porter atteinte à l’œuvre publiée. Et ce respect que l’éditeur et les autres tiers doivent à l’œuvre se manifeste, au regard de la jurisprudence, sous des formes particulièrement nombreuses.
Les atteintes au respect de l’œuvre surgissent souvent à l’occasion d’adaptations d’une œuvre, par exemple d’un roman pour le cinéma ou la scène. L’esprit de l’œuvre d’origine doit être respecté par l’adaptateur. Il faut trouver un juste milieu entre la nécessaire déformation de l’œuvre due à son adaptation et son respect prévu par la loi. En l’absence de dispositions contractuelles précises (sujettes elles-mêmes à de nombreuses limitations), c’est au juge qu’il revient, en cas de conflit, le pouvoir d’estimer si le respect de l’œuvre a été ou non atteint.
Pour pallier toute atteinte au respect de leur œuvre, certains écrivains n’hésitent pas à exiger une clause de respect parfois très détaillée dans le contrat d’adaptation. Il faut relever à ce propos une sorte d’exception légale qui autoriserait un tiers à terminer l’œuvre d’un écrivain supposé rédiger lui-même le scénario adapté de son roman. En effet, selon l’article L. 121-6 du CPI, qui concerne les auteurs de l’œuvre audiovisuelle (au titre desquels la loi assimile l’auteur du roman adapté), « si l’un des auteurs refuse d’achever sa contribution à l’œuvre audiovisuelle ou se trouve dans l’impossibilité d’achever cette contribution par suite de force majeure, il ne pourra s’opposer à l’utilisation, en vue de l’achèvement de l’œuvre, de la partie de cette contribution déjà réalisée. Il aura, pour cette contribution, la qualité d’auteur et jouira des droits qui en découlent ».
Le conflit peut germer sur les coupes faites dans l’intrigue, sur la transposition dans un autre décor que celui conçu par le romancier, etc. Le droit moral est perpétuel et ne connaît pas de domaine public. En 1966 également, la même juridiction s’est donc penchée, à la demande de la Société des gens de lettres, sur l’adaptation au cinéma par Roger Vadim des Liaisons dangereuses.
Les enjeux de l’audiovisuel et du show-business, et les conséquences financières énormes de tout litige, appellent à la prudence. L’aménagement contractuel préalable des difficultés éventuelles reste la meilleure solution.

Un droit moral aménageable 

Certes, le droit moral « est attaché » à la personne de l’auteur et n’est donc en théorie pas cessible par contrat. Il reste cependant aménageable, ainsi que la cour d’appel de Paris l’a souligné, en 1970, à l’occasion de l’adaptation de Fantômas avec Louis de Funès.
Les producteurs demandent fréquemment aux écrivains de participer à l’écriture du film ou de la pièce tirés de leur propre roman. Il s’agit là soit d’un appel au talent, soit d’un appel au calme…
Enfin, soulignons que la transmission des droits moraux est l’attention de plusieurs articles du CPI, articles dont l’absence de logique et de clarté continue d’embarrasser juridictions et spécialistes du droit d’auteur. Mais, et c’est là le point retenu par le tribunal – en sus de la facturation aventureuse -, les ayant-droits doivent respecter les instructions de l’auteur (qu’elles émanent d’un testament, de correspondances, d’un journal, etc.) ou, à défaut, de se référer aux règles d’usage de l’édition.
Le cinéma et la comédie musicale sont de formidables machines, qui ont réussi, en raison tant des investissements substantiels que de la multiplicité des intervenants, à annihiler le traditionnel droit moral de ceux qui ont succombé à ses charmes ou à ses chèques.
 
 

Les dernières
actualités