12 JANVIER - ESSAI France

Il y a des phrases tellement célèbres qu'elles font disparaître leurs auteurs. "J'avais 20 ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie" a beaucoup contribué à la méconnaissance de Paul Nizan (1905-1940). C'est un peu pour conjurer ce mauvais sort fait à la postérité que le psychiatre et auteur de romans policiers Yves Buin a entrepris ce travail. Il possédait déjà une bonne expérience dans ce domaine puisqu'il avait signé en 2006 et en 2009, excusez du peu, un Kerouac et un Céline dans la collection "Folio biographies".

Nizan, donc ! Par quel bout le prendre ? Le militant communiste, le romancier stendhalien, l'essayiste pamphlétaire ? Ecoutons-le : "Je ne suis ni amer, ni désespéré, ni pessimiste ; je suis tragique." Dans la fameuse préface écrite pour la réédition d'Aden Arabie, au lieu de nous donner la clé de l'homme et de l'oeuvre, Sartre avait changé la serrure. C'est plus commode. Dans son entreprise de "désensartrisation" de Nizan, Yves Buin se contente de relater l'existence de cet écrivain foudroyé par la guerre à 35 ans.

"Révolté" est sans doute le mot qui caractérise le mieux Nizan. Avec tous ses excès, voire son conformisme. Il fut d'ailleurs brièvement séduit par le fascisme du Faisceau de Georges Valois. Ce sera finalement, jusqu'au pacte germano-soviétique, le communisme. C'est bien ce qui ressort de cette biographie traversée par les grandes figures intellectuelles de l'entre-deux-guerres. Sartre, évidemment, le compagnon de turne à Normale sup, l'ami, le confident, mais aussi Gide, l'incarnation même du "grantécrivain", ou encore Malraux, dont il se sentira si proche au moment de la guerre d'Espagne. "Cette révolution-là, je la comprends." Pour bien saisir la connivence entre ces deux-là, Clara avoua à Malraux après sa lecture d'Aden Arabie :"Si je n'avais pas joué sur vous, j'aurais joué sur le garçon qui a écrit ça."

De 22 à 35 ans - il écrivit Aden Arabie à 26 -, Nizan s'est comporté en intellectuel révolutionnaire, toujours accompagné par Henriette, la femme de sa courte mais intense vie. Trois romans - Antoine Bloyé, Le cheval de Troie et La conspiration - ont suffi à l'inscrire dans la littérature française. Pourtant, Yves Buin nous fait prendre conscience du déséquilibre de cet homme qui fonce entre Stendhal et Lénine. Après le traumatisme de 14-18, qui vit l'explosion des avant-gardes révolutionnaires et la montée des totalitarismes en Europe, Hegel et Marx ont remplacé Rimbaud et Lautréamont. Pas étonnant, en conséquence, que pour Nizan le fameux voyage à Aden n'ait pas été à la hauteur de ses espérances.

Le Nizan d'Yves Buin est foncièrement manichéen. Parce que "le monde est ainsi", justifiera le révolté. L'observation du réel l'a conduit à ce constat où les hommes et les idées s'affrontent. Qu'on le veuille ou non, les écrivains sont aussi le produit de leur époque. Cette biographie nous rappelle combien la sienne fut tumultueuse.

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