A l’automne de sa carrière, le vieil écrivain se souvient de l’adolescent qu’il fut lorsqu’il rêvait la littérature et la vie. Le romancier au cœur fragile se rappelle combien l’organe désormais usé avait battu la chamade en pénétrant dans ce monde interlope des bas-fonds de Buenos Aires de la fin des années 1950. "L’écrivain mémorieux" s’en souvient comme si c’était hier. Le vieux narrateur de Dark, le nouveau roman d’Edgardo Cozarinsky, arpente le passé et se revoit en juvénile héros enivré de ses lectures de De Quincey et de Cocteau s’aventurant à la recherche de fumeries d’opium dans les docks de la capitale. Le garçon entre dans un boui-boui où l’on joue du tango, un homme observe le jeune intrus et l’aborde, se lie d’amitié avec lui. Andrés deviendra pour Víctor une espèce de Lord Henry Wotton et initiera, tel l’aristocratique mentor du héros wildien du Portrait de Dorian Gray, l’aspirant écrivain à la beauté sulfureuse de la nuit. Si Víctor a perdu sa virginité avec Cecilia, sa cousine cinéphile un peu plus âgée que lui, son ami noctambule lui fera découvrir le vrai plaisir en lui offrant une prostituée. Andrés le conduira aussi dans des endroits où des hommes rencontrent d’autres hommes et l’utilisera comme appât afin de faire chanter les notables craignant pour leur réputation. Mais le plus troublant et le plus fort, malgré le passage des ans, est cette attraction qui ne dit pas son nom et dont la mémoire fait vibrer encore l’âme de l’écrivain chenu. Sean J. Rose