À partir de l’automne 1954, de la 6e à l’hypokhâgne, soit durant près de dix ans, redoublement compris, Noëlle Jospin (c’est son nom de jeune fille), a été placée, à la suite de ses frères et sœurs aînés, par leurs parents, dans des pensionnats de la région parisienne, afin de pouvoir y suivre ses études. Des établissements laïcs, mais dont la discipline, confinant à la maltraitance, l’hygiène, la nourriture déplorables, l’absurdité carcérale font penser à ces pensionnats religieux, souvent dépeints par celles qui y sont passées. Les agressions sexuelles exceptées.
Ces années de formation, d’apprentissage, douloureuses mais compensées par la découverte des amours « clandestines », furent déterminantes. Au point que, bien longtemps après, devenue Noëlle Châtelet, sociologue, universitaire, écrivaine, un temps comédienne, elle a éprouvé le besoin de les raconter, revendiquant une « vérité absolue ». Elle s’est confiée en avant-première à Livres Hebdo.
Livres Hebdo : Comment définiriez-vous ce livre, plutôt à part dans votre œuvre ?
Noëlle Châtelet : C’est un récit d’apprentissage, des souvenirs de jeunesse mais racontés avec une volonté d’analyse. Je suis à la fois le sujet et l’objet du livre. C’est l’autobiographie qui m’a choisie. Ce n’est pas une entreprise narcissique, je travaille sur les événements de la vie, le corps et la psyché. Le corps et ses métamorphoses, c’est le fil rouge de ce livre.
Vous n’y donnez ni dates précises, ni indications de lieux, même votre nom est « flouté ». Pourquoi ?
Ce n’est pas un récit historique ! En ne donnant pas d’indications explicites, je tente d’instaurer une proximité avec le lecteur, qui peut s’identifier à la narratrice. C’est le réflexe de quelqu’un qui veut transmettre une expérience.
Néanmoins, on se demande pourquoi, dans votre famille bourgeoise « normale », nombreuse et aimante, on envoyait tous les enfants en pensionnat ?
Nous sommes tous nés à Meudon. Puis, mon père a été nommé directeur d’un centre d’ados pré-délinquants, en Seine-et-Marne. Plus de 300 enfants. Ma mère l’a suivi, pour y être l’infirmière. C’était une espèce de communauté, où les méthodes d’éducation étaient un peu « à la Rousseau ». On vivait dans les bois, en pleine communion avec la nature, et dans une liberté totale. Mon père croyait à l’auto-éducation, à l’autodiscipline, et ça a réussi. Les enfants étaient incroyablement heureux. Mais il n’y avait à l’époque, alentour, aucun collège ni lycée. Ni transports. Il aurait fallu faire 40 kilomètres. On nous envoyait donc dans un pensionnat laïc, avec des règles quasi-féodales, peut-être pires que chez les bonnes sœurs ! Cela a été pour moi un arrachement terrible, et la découverte d’un monde inconnu, hostile.
« Je fais encore des cauchemars quand je repense à la prof de maths sadique, qu’on surnommait Quasimoda »
Vous y avez vécu des expériences douloureuses, mais aussi de belles aventures, des rencontres marquantes, et vos premières amours…
Tout ce que je raconte est d’une vérité absolue, mes souvenirs ravivés par l’écriture. Je fais encore des cauchemars quand je repense à la prof de maths sadique, qu’on surnommait Quasimoda, qui voulait réellement m’écraser. Ces années-là ont fait la femme que je suis. J’ai appris l’injustice, mais aussi la révolte et la résistance, l’empathie et la solidarité entre filles. J’aurais été brisée si je n’avais pas fait le pas de côté des amours interdites, saphiques, qui ont fait tomber les murs de la prison. Sans que je me sois jamais définie par la suite comme « lesbienne », même quand, dans La banquière, je jouais l’amie de Romy Schneider…
C’est à la fin de vos années de pensionnat que vous vous échappez, enfin, et découvrez le grand amour…
Oui, à 19 ans, j’avais fait une grève de la faim pour qu’on m’envoie dans une hypokhâgne mixte. Il fallait que je voie des garçons ! J’ai toujours eu l’idée que j’allais vivre le grand amour, avec un mélange d’angélisme et d’intrépidité. J’ai peur mais j’y vais. Et voilà, dès la première minute, je vois mon prof de philo, François Châtelet, et j’ai su que c’était lui, et pas un autre ! Il avait alors 38 ans, moi 19, j’étais encore mineure…
Pourquoi avoir écrit ce livre maintenant ?
Parce qu’on vit une véritable révolution des mœurs, à travers les mouvements féminins et féministes qui font leur travail et qui le font bien. J’ai voulu réenchanter les amours adolescentes à travers ma propre expérience, sans donner de leçons, dans la douceur la plus extrême.
À l’école des filles s’achève un peu abruptement, sur votre toute première rencontre avec François Châtelet. Y aura-t-il une suite ?
Honnêtement, je m’interroge…
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