La Cour de cassation vient de rendre, en date du 30 mai dernier, un arrêt assez détonnant en matière de numérisation. Elle a en effet cassé un arrêt d’appel qui avait clairement assimilé la numérisation de photographies à un acte de contrefaçon, dans la mesure où celle-ci, réalisée par une agence de presse sans autorisation du reporter-photographe. En l’occurrence, la haute juridiction estime que «  les numérisations et mises en ligne litigieuses – ces dernières seulement en basse définition et avec la protection d’un système antipiratage interdisant leur appréhension par des tiers  » pouvaient être considérées, en l’absence de clause contraire, comme rentrant dans le mandat de commercialisation et le besoin d’en permettre la visualisation par des acheteurs potentiels. Or, jusqu’ici, la jurisprudence semblait avoir acté que la simple numérisation constituait en elle-même un acte de contrefaçon. Le premier argument en faveur de cette conception résultait des traités adoptés, le 20 décembre 1996, par la conférence diplomatique de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Cette autorité possède une légitimité certaine, puisqu'elle gère notamment la principale convention internationale en matière de droit d’auteur, dite aussi convention de Berne, par laquelle sont aujourd'hui liés près de 165 pays. L'un des textes élaborés en 1996 porte sur le droit d'auteur et est à ce titre considéré comme un additif à la convention de Berne. Or, le grand apport de ce texte qui a déjà plus de quinze ans ne consiste pas à rappeler que le droit international de la propriété littéraire et artistique s'applique au domaine du multimédia : il précise également que la simple numérisation comme le balayage optique sont considérés comme des actes de reproduction des œuvres. Cette prise de position n'avait pas particulièrement ému, en 1996, dans la mesure où le texte n’était susceptible d’entrer en vigueur qu’après sa ratification par au moins trente États... Elle avait néanmoins commencé de restreindre encore l'exception classique aux droits d'auteur constituée par la possibilité de réaliser librement une copie dite privée, c'est-à-dire réservée à l'usage du copiste. Aucun autre texte international ou national ayant dépassé l'état de projet n'a pour l'heure adopté un tel point de vue. Quant aux juridictions françaises, elles étaient restées assez imprécises sur la qualification juridique de la numérisation en tant que telle. Il en était ainsi, par exemple, de la première décision française rendue en matière de contrefaçon de droits d’auteur sur Internet qu'était l'ordonnance de référé, rendue le 14 août 1996, par le président du Tribunal de grande instance de Paris et interdisant la mise en ligne de chansons de Jacques Brel et de Michel Sardou par l’École nationale supérieure des télécommunications. Le juge avait alors considéré que «  toute reproduction, par numérisation, d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur et susceptibles d’êtres mises à disposition de personnes connectées au réseau Internet, doit être expressément autorisée par le titulaire ou le concessionnaire des droits  ». Cette décision, prise   à la veille du 15 août et à l'issue d'une procédure expéditive, évoquait laconiquement la numérisation. Il s'agissait surtout de répondre à une argumentation particulièrement alambiquée des contrefacteurs. Enfin, l'ordonnance sanctionnait la numérisation parce que celle-ci était directement liée à la diffusion, dont tous les observateurs attentifs reconnaissaient l'illégalité. Tel n'est pas vraiment le cas de l'arrêt rendu, le 29 septembre 2001, par la Cour d'appel de Paris. Les magistrats ont condamné sévèrement la station de radio Europe 2, poursuivie par le producteur de disques Universal Music. Ils ont en effet estimé expressément que le simple stockage sous forme numérique d'une œuvre protégée constitue une reproduction qui nécessite l'autorisation des titulaires des droits. Depuis lors, la jurisprudence a surtout statué, comme dans feue l’affaire Google, sur la numérisation accompagnée d’une diffusion considérée comme une forme d’exploitation. C’est dire si la récente décision de la Cour de cassation relance le débat du statut juridique de la numérisation. Ajoutons que, lorsque le numérique a fait son apparition, certains spécialistes s'étaient inquiétés de la violation au droit moral des auteurs que représenterait le seul acte de numériser une œuvre. Il n'existe encore aucune application concrète d'une telle théorie, qui aboutirait à une acception démesurément large du droit au respect de l'œuvre. Seule l'exploitation d'une reproduction en trop basse définition pouvait être envisagée comme répréhensible en raison de la véritable déformation qu'elle entraîne.
15.10 2013

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