«  Mais qu'est-ce qu'on va faire des livres ?  » Je me souviens, ce furent ses premiers mots quand nous avons décidé de déménager. Quelques mois et une cruralgie plus tard, nous voilà installé à l'autre bout de Paris dans un petit appartement délicieux. Les chats ont décidé que ça allait. Nous aussi. Les bibliothèques -les petites- servent de vaisselier, garde-manger, commode dans notre micro cuisine. A la cave les habits d'été. ET, et, 160 cartons de livres s'ennuient au garde-meubles. Une tragédie pour moi que d'être revenu au temps de mon enfance où nous avions, en dehors de mes livres de classes une douzaine de livres ( Les hommes en blanc en six volumes, Le journal d'une femme en blanc en deux volumes du docteur André Soubiran, deux Maxence Van der Meersche, Pêcheurs d'homme et Corps et âmes si je me souviens bien et, pour une raison qui m'est resté inconnue, Mein Kampf ). Nous n'étions pas pauvres. Simplement nous n'avions pas de livres. Quand, cinquante ans, dont douze de critique littéraire, plus tard, nous avons déménagé ma femme et moi j'ai (provisoirement, j'espère) perdu ma bibliothèque. Cette pièce où j'aimais m'enfermer, seul, en silence, sans rien faire, à écouter -si, si je les entendais- tous ces livres me chuchoter à l'oreille leurs secrets, s'engueuler à grands cris de papiers les livres féministes de ma femme et mes romans sévèrement burnés d'Harrison, Crumley ou délicieusement ciselés de Michon, Mauvignier, Mutis et les autres. Nous avions convenu, ma femme et moi, de réduire un peu les voiles, chacun dans notre partie de bibliothèque. Maigre bilan : 700 livres éliminés sur lesquels nos amis se sont rués comme des vols de sauterelles, 5500 conservés. Ah ! si j'avais taillé dans ses ouvrages féministes, scientifiques, religieux, psychologiques, poétiques et si elle avait taillé dans mes romans, mes livres politiques, mes BD. Peut-être en aurions-nous gardé à peine 700, mais je n'aurai plus jamais retrouvé une bibliothèque pour me bercer de ses chuchotis. Me voici, en attendant un autre déménagement plus définitif, entouré d'une trentaine de livres, soit une partie de la documentation pour mon propre livre avec une dizaine de cartons de coupures de presse. Orphelin et libéré. Les autres, entassés je ne sais où, dans un « storage » comme parlent les déménageurs d'aujourd'hui, s'ils me manquent j'ai en même temps l'impression de voir plus loin que le bout de mes étagères. Est-ce pour cela -avec l'aide de cette p... de cruralgie qui m'a empêché pendant près de cinq semaines de poser un pied dehors- que je viens de finir un des chapitres les plus compliqués de mon livre en une cinquantaine de feuillets ? Les chats se chauffent la toison au soleil qui emplit mon bureau, l'ordinateur cliquète et pour me féliciter de mon travail je suis allé acheter... Jours de destruction, jours de révolte de Chris Hedhes et du dessinateur Joe Sacco (Futuropolis) ainsi que Lyuba, la tête dans les étoiles une histoire de Roms de la Roumanie à l'Ile-de-France (éditions Autrement, collection Français d'ailleurs) de Valentine Goby. Mais où vais-je les mettre ?
15.10 2013

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