Avant-Critique Récit

Ovidie, "La chair est triste hélas" (Julliard)

Ovidie - Photo © Charlotte Krebs

Ovidie, "La chair est triste hélas" (Julliard)

Ovidie ouvre le bal de la nouvelle collection de Julliard « Fauteuse de trouble », avec un récit puissant interrogeant son intimité, privée de sexualité.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 15.03.2023 à 14h00

Cessation sexuelle. « Je suis féministe parce que je suis mal baisée », clame Ovidie. Elle pousse ce cri afin de secouer nos esprits et de nous faire comprendre sa reconversion inattendue. « Cela fait presque quatre ans que je fais la grève du sexe. » Peu importe si on juge ses opinions trop tranchées, les vérités d'Ovidie claquent entre les pages, parce qu'elles nous renvoient à nos doutes et aux verrous inconscients qui nous gouvernent. Jadis, on l'aurait traitée de sorcière. Vanessa Springora l'a choisie pour lancer la collection « Fauteuse de trouble » chez Julliard, qui vise à mettre en lumière « la sexualité, la révolte, l'intime et l'émancipation ». La réalisatrice de films, de documentaires et de podcasts engagés Ovidie suit ce programme à la lettre. Elle ajoute une touche d'ironie, d'émotion et de sincérité fracassante. « Ce texte n'est ni un essai, ni un manifeste. Il n'est en rien une leçon de féminisme. Tout au plus un exutoire... » À la base, il y a une femme dupée pensant que la sexualité est synonyme d'épanouissement, de joie et de respect. Or dans son quotidien, il n'en est rien. « Arrêter la sexualité n'est ni un projet de vie ni un idéal politique. » Il s'agit d'un choix qu'elle saisit à bras-le-corps.« Tous ces sacrifices pour rester sur le grand marché de la baisabilité. Cette vie entière tournée intégralement vers le désir des hommes. » Aussi préfère-t-elle renoncer au sexe avec eux. « J'ai surtout entamé une grève de la simulation. » Au-delà de sa propre expérience, Ovidie nous incite à remettre en question l'éducation, la médiatisation ou la pression sociale que nous subissons malgré nous. « La première fonction d'une femme, c'est d'être baisable, pas de produire de la pensée. » Alors l'autrice - souvent considérée comme un sex-symbol féministe - ne peut s'empêcher « d'interroger [sa] valeur sociale en tant que femme. » Rejeter la sexualité fait d'elle une anomalie, et alors qu'on prône la sororité, la concurrence l'emporte. « Nous reproduisons ce que les hommes font de nous, des corps et uniquement des corps. Sans penser l'égalité au lit. Avoir mal, c'est normal. Aux hommes le Viagra, à nous le tube de gel. » Face à cet excès de douleur, Ovidie a dit stop. Non, son désir n'est pas en berne, puisque la masturbation lui procure plein de sensations, mais inutile de transformer ce solo en duo frustrant. « Je préfère retourner à ma solitude, ce cocon dans lequel je suis préservée de la violence. » Y compris celle qui sévit sur les réseaux imposant une perfection inexistante. « Il nous faut reconstruire notre imagination, réinventer notre rapport à l'autre » et à soi, même concernant ses plaies. Et faire en sorte que les petits garçons deviennent « des êtres humains épanouis qui ne seront ni des dominants ni des dominés ». Ovidie ignore si sa grève sexuelle va durer éternellement, mais elle nous encourage vivement : « Sublimons ensemble. Canalisons cette belle énergie dans l'art de la révolution. »

Ovidie
La chair est triste hélas
Julliard
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 18 € ; 160 p.
ISBN: 9782260055211

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