Avant-critique Roman

Pablo Martín Sánchez, "Reus, 2066" (Zulma et La Contre Allée)

Pablo Martín Sánchez - Photo © Isabel Rodríguez

Pablo Martín Sánchez, "Reus, 2066" (Zulma et La Contre Allée)

Dans une troublante dystopie, l'Espagnol Pablo Martín Sánchez imagine la vie des derniers survivants d'une catastrophe, reclus dans un hôpital espagnol.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 15.03.2024 à 14h00

Journal d'un survivant. À l'heure où la planète connaît de fortes turbulences sociopolitiques, économiques et écologiques, bon nombre d'écrivains se penchent sur son avenir et sa possible fin. La période du confinement a été propice aux imaginaires florissants, tel celui de Pablo Martín Sánchez, auteur oulipien espagnol, traducteur de Raymond Queneau, Delphine de Vigan, Wajdi Mouawad ou encore Hervé Le Tellier. Après un puzzle littéraire inclassable - Frictions (La Contre Allée, 2016) - et deux romans (L'instant décisif, La Contre Allée, 2017, et L'anarchiste qui s'appelait comme moi, Zulma et La Contre Allée, 2021), il met en scène un nouveau héros dans un moment tragique. Ce survivant d'une troisième guerre mondiale a laissé un manuscrit, daté de 2066, révélateur de son incroyable aventure. « Si j'écris, c'est dans l'espoir d'aider les générations futures à comprendre comment nous vivions au temps de la Grande Panne. Sauront-elles ce qu'est un livre imprimé ? » Ce journal intime est pour lui la seule façon de laisser une trace de son existence dans cet univers dévasté. L'Espagne a sombré dans un tel chaos que les rares rescapés doivent quitter le territoire. « Voilà la grande ironie : après tant de souffrance, tant de familles détruites, tant d'aspirations tronquées à cause d'une guerre fratricide, nous devions tous partir. » Mais certains s'accrochent. Notamment les habitants de Reus, alias « Reddis qui signifierait croisement, réseau ou carrefour de chemins ». C'est exactement à cela que nous invite ce roman frémissant, qui nous fait découvrir des personnages aux destins différents, réunis dans l'ancien asile psychiatrique de l'institut Pere Mata. Certains y meurent, d'autres y survivent en créant un semblant de famille. Ils n'ont « qu'une possibilité : attendre et résister ». Parmi eux, l'auteur du manuscrit, un écrivain octogénaire, cultive son univers de papier. « Il suffira de lire ce journal pour connaître mon caractère, mais je n'ai aucun problème à admettre que je suis cabochard, grincheux et maniaque. » Ce veuf éploré, attachant, a perdu son fils et sa femme adorée. C'est d'ailleurs à elle qu'est dédié ce témoignage crucial. « J'ai le syndrome du membre fantôme... » En dépit du chagrin, l'écrivain se fait une place parmi cette galerie de personnages stimulants. Il vibre même face au médecin, Audrey, une femme d'une grande sensualité qui lui transmet sa force et sa flamme. « On pourrait penser que lorsqu'il s'agit de survivre, il n'y a pas plus de place pour les illusions ou le désir. Mais rien n'est plus éloigné de la vérité. » Mais cet oasis inespéré peut-il les protéger de la réalité menaçante, qui sidère le protagoniste ? « Les temps que nous vivons me sont si amers. Qu'est-ce qui pousse un être humain à en agresser un autre ? » Constamment occupés à survivre, ils n'ont pas le temps de s'attarder sur la question. Cette troublante dystopie de Pablo Martín Sánchez reflète nos guerres extérieures et intérieures, en célébrant la force que l'on puise dans le deuil ou dans l'amour. « Je crois que c'est Platon qui a dit que philosopher c'est apprendre à mourir. J'ai toujours pensé que la philosophie doit nous enseigner à vivre. À vivre heureux. »

Pablo Martín Sánchez
Reus, 2066
Zulma et La Contre Allée
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24 € ; 368 p.
ISBN: 9791038702646

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