Hélène Lenoir poursuit depuis Tilleul (2015), paru chez Grasset dans la collection de Martine Saada, une œuvre abritée pendant vingt ans aux éditions de Minuit - Son nom d’avant (1998), Le magot de Momm (2001), La crue de juillet (2013). Demi-tour retrouve la forme de son premier livre, La brisure, en 1994 : sept nouvelles qui explorent des rencontres fortuites et déterminantes. Les protagonistes solitaires se retrouvent accidentellement, par effraction, impliqués dans un moment parfois fatal, toujours intime, de la vie d’inconnus croisés par hasard.
Avec cette manière si caractéristique qu’elle a d’entrer dans la densité des vies intérieures de ses personnages, de révéler les tensions souterraines - pensées suspendues, commentaires en off, flux de conscience -, la romancière, qui vit en Allemagne depuis trente-sept ans, élabore des histoires qui ressemblent à des puzzles où il manque des pièces. Les scénarios ménagent de larges pans d’ombre. Les différents narrateurs, hommes et femmes, se tiennent à l’extérieur des situations. Ils observent à distance, condamnés à spéculer, déchiffrant avec difficulté les motivations, les signes qui sont toujours pleins d’ambiguïté (mépris ou reproche ? Embrouille ou vérité ?) : une jeune fille suicidaire hébergée pour la nuit par son sauveteur reste résolument silencieuse et hostile. Un homme s’intéresse à la visiteuse de son voisin qui finit par l’obséder… "Ces rires, juste au-dessus. Les balcons, fermés par de compactes balustrades, étaient assez profonds pour qu’on puisse s’y tenir tout à fait l’abri des regards des habitants du même immeuble." Dans tous les cas, ces croisements, même fugaces, avec des étrangers laissent des traces indélébiles et orientent vers de nouvelles directions. La dernière nouvelle qui donne son titre au recueil et, comme l’avant-dernière, sobrement inspirée du drame des migrants, dit bien ce point de bascule où toutefois rebrousser chemin n’est pas seulement retourner sur ses pas. V. R.
