En 63 av. J.-C. une délégation des Allobroges se rend à Rome. Ce peuple gaulois vient se plaindre des exactions de magistrats et des lourdes contributions qui les accablent. Au Sénat, ils racontent tout à Cicéron qui, en pleine conjuration de Catilina, profite de l'aubaine pour révéler le complot. Il reçoit pour son action le titre de Père de la patrie et se tresse des lauriers dans ses Catilinaires. « Ces plaidoiries sentaient la bouffissure, dans la mesure où Cicéron entreprit de considérer son consulat comme le plus grand acte de l'histoire romaine, à mettre en parallèle avec la geste de Romulus. » Yves Roman, professeur émérite d'histoire ancienne à l'université Lumière-Lyon, ne mâche pas ses mots avec cet orateur hors pair. C'est ce qui rend sa biographie passionnante, parce qu'elle cherche à se saisir sans manichéisme de la personnalité de Cicéron. Pour cela, il installe le lecteur dans les textes par le biais de citations du rhéteur et de ses commentateurs. Il faut dire que l'homme a beaucoup écrit et s'est beaucoup décrit, souvent en ne gardant que le bon côté de la médaille, en oubliant cette volonté de se maintenir au premier plan qui lui servait d'aiguillon mais qui le figeait aussi dans des postures désastreuses au point de défendre des causes douteuses.

Tves Roman- Photo COLLECTION PERSONNELLE-FAYARD

Yves Roman a utilisé les techniques d'investigation numérique pour traquer, dans l'imposant massif documentaire des œuvres et de la correspondance, des éléments de compréhension de l'homme derrière la toge. Dans une Rome corrompue, au sein d'une République vacillante, Cicéron a tenté de repousser le spectre de la dictature en ménageant les optimates (conservateurs auxquels il appartenait) et les populares (populistes représentés par César) pour finir dans le dégoût de la politique. Toute son action a été guidée par la philosophie afin de préserver un régime qu'il voyait s'écrouler un peu plus chaque jour.

Yves Roman rapporte les nombreuses affaires qui ont émaillé sa vie publique, les procès célèbres, cette façon unique de retourner l'opinion y compris celle de César qui voulait pourtant la peau d'un accusé, sa dévastation après la mort de sa fille chérie Tullia, sa consolation dans l'écriture et son retrait progressif dans la philosophie jusqu'à ce que Marc-Antoine n'ordonne son assassinat.

Sur le plan de la rhétorique pure, Cicéron a échoué. « Non seulement il ne parvint pas à modifier les pratiques oratoires de ses concitoyens, mais il n'appliqua pas toujours à lui-même les règles qu'il avait préconisées. » Ses dons éclatants ne sont pas parvenus à faire sortir l'aristocratie romaine de son immobilisme, mais sa vision des institutions, cette quête acharnée d'une sorte de troisième voie, permet de comprendre comment Rome fonctionnait ou plutôt comment elle ne fonctionnait plus.

Après le portrait de l'empereur Marc Aurèle (Payot, 2013) qui avait réussi à concilier l'exercice du pouvoir et la philosophie, Yves Roman dévoile un autre personnage riche et complexe qui, lui, n'a pas trouvé cet équilibre, peut-être parce qu'il n'eut jamais vraiment de pouvoir, hormis celui du verbe.

Yves Roman
Cicéron
Fayard
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 24 € ; 432 p.
ISBN: 9782213705224

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