25 AOÛT - ROMAN France

Il semble cette fois que Patrice Lelorain ait accouché et couché sur le papier ce grand oeuvre qu'il portait en lui depuis longtemps. Quelques mois de travail acharné, pour un demi-siècle de vie. Mais pas question de roman d'éducation traditionnel. Point de verts paradis de l'enfance ou de Petit Chose. Non. Passant de la boxe - on se souvient du magistral Quatre uppercuts, paru à La Table ronde en 2008 et qui remporta le prix de la Nouvelle de l'Académie française - au marathon, notre athlète a imaginé une grosse machine presque romanesque, qui exige du lecteur une endurance et un souffle à l'aune de ceux de l'auteur.

Car pas question pour lui de s'effeuiller tout de suite. Un strip-tease, ça doit durer longtemps. Et pas question non plus d'être seul sur scène. Ainsi que Revenants le laisse entendre, Patrice Lelorain fait défiler sous sa plume et sous nos yeux - un peu comme si on était attablé à la terrasse d'un café sur un boulevard, à regarder passer les chalands - toute une théorie de personnages peu banals. Les uns en vie, pas mal d'autres disparus à cause des drogues de plus en plus dures qui, à partir du milieu des années 1970, commencent à envahir la banlieue ouest où naquit et vécut le narrateur, à Bois-Colombes. Une descente aux enfers de laquelle, lui, il est revenu, en dépit de bon nombre de cabossages, galères, bagarres et autres avanies.

Grâce au sport, bien sûr. Et à quelques grandes passions. Les filles, surtout. Et surtout les blondes de type scandinave ou irlandais, depuis Monica, Puce et Claudia, autant de fiascos en définitive. Jusqu'à Diane, aujourd'hui la femme de sa vie. Et puis le cinéma d'auteur américain, dont Lelorain est féru, en tant qu'ex-collaborateur de l'éphémère revue Cinématographe et auteur d'une thèse sur Arthur Penn sous la direction de Marc Ferro - avec qui l'impétrant s'est d'ailleurs querellé en pleine soutenance ! Il a lui-même commis quelques courts-métrages très "art et essai"... Le rock enfin, qu'il a pratiqué en amateur, satellite de groupes comme Les Androïdes ou Tokow Boys, bien connus des spécialistes de l'underground français de l'époque... Dans ce vaste domaine aussi, le docteur Lelorain est un puits de science et un fan, prêt à suivre au bout du monde l'un de ses dieux, Roger Chapman, chanteur chevrotant de Family qui mène depuis une carrière de loser pathétique. Son autre idole, c'est le grand Gérard Manset, à qui il consacre quelques passages exégétiques.

Manset, lui, est nommé, alors que la plupart des personnages sont désignés soit par leur seul prénom, soit adjoint de l'initiale de leur nom. On en reconnaît certains, comme cette famille V2 dont le père, Hubert, deviendra ministre de François Mitterrand, habitué de Bois-Colombes bien avant d'être élu. Lelorain a aussi croisé une fois Chirac qui faisait du jogging à Longchamp...

Tout cela s'enchaîne dans un désordre apparent, mais savamment pensé. Le livre, en revanche, aurait pu gagner en oxygène, allégé du tunnel qui plombe la deuxième partie, "Francis". Paris et sa banlieue, Les Sables-d'Olonne, les chambres de bonne miteuses, les galères et les copains d'abord : Revenants est un objet littéraire non identifié, porté par une écriture et une souffrance. Les rapports du fils et de la mère, en particulier, sont un vrai roman dans ce roman mélancolique, désabusé, "destroy". Mais pas triste.

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