Si la Chine m'a donné un esprit, c'est la France qui m'a ouvert les yeux sur le monde et sur mon propre pays. Ce petit livre est l'expression de ma reconnaissance et de mon amour", dit Yu Zhou, en préambule de son essai La baguette et la fourchette. Du maître Confucius, le noble Fils du ciel a hérité l'indulgence. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que la France, où il vit et travaille enfin aujourd'hui en toute légalité, n'a pas toujours été très douce avec lui.

L'histoire commence à Shanghai, en 1972, avec la naissance de Yu Zhou. "Mon prénom se prononce un peu comme "Jo", et signifie "Petit Bateau"", précise-t-il. Il est le fils unique d'une famille moyenne, banale. Si ce n'est que son oncle est chef cuisinier d'un restaurant où il emmène parfois son jeune neveu. Et que sa mère nourrit une passion pour les écrivains français classiques, Balzac, Hugo, Zola, alors interdits en Chine. Zhou apprendra donc notre langue au lycée puis au département français de l'Institut des langues étrangères de Shanghai. Son idée, alors, est de devenir professeur de français ou interprète à l'Unesco. Mais il rate le concours et travaille pour la Banque de Chine, puis la Kommerzbank durant trois ans. "Avec toujours en têtel'idée de partir à l'étranger." Il y parvient sans encombre en 1999, sa banque ayant signé un protocole de coopération avec l'université de Nantes. Entre-temps, Deng Xiaoping est passé par là, avec sa politique d'ouverture de la Chine au capitalisme et son "Enrichissez-vous ».

Yu Zhou étudie la gestion à Nantes durant un an, puis est embauché par une entreprise de moteurs en Seine-et-Marne, laquelle a monté une affaire d'import-export avec une société de Pékin. L'étudiant devient un travailleur sans papiers, et ne se fait pas de souci pour autant. Licencié en 2002, il monte à Paris où, grâce à l'année de la Chine en France, il vit en donnant des cours de chinois. "C'est à cette époque, se souvient-il, que j'ai commencé à m'intéresser à la gastronomie française, ce qui m'a permis de réfléchir sur ses différences avec la cuisine chinoise. Chez nous, les plaisirs de la table sont très importants aussi, ils compensent un peu les plaisirs sexuels, qui demeurent tabous. Mais les grands chefs restent anonymes. » Il projette déjà d'écrire un guide gastronomique de la France en chinois, à l'usage de ses compatriotes de plus en plus nombreux à visiter notre pays.

Menacé d'expulsion

Mais en 2009, alors que, trompant sa peur des contrôles, il se rend, par le train, au Pays basque espagnol, il est arrêté et emmené au commissariat d'Hendaye, puis transféré dans un centre de détention. Il y restera trois semaines, menacé d'expulsion. S'ensuit un imbroglio politico-médiatico-judiciaire. Un psychodrame très éprouvant, dont les protagonistes sont un juge intransigeant, des associations et des journalistes qui prennent fait et cause pour le jeune Chinois, en appellent à Claude Bartolone, à Dominique Voynet, laquelle alerte Eric Besson, alors ministre de l'Immigration. A deux doigts d'être mis dans l'avion, Zhou est sauvé in extremis. Il obtiendra enfin une carte de séjour en règle, qui lui permet depuis d'aller rendre visite à ses parents et d'enseigner le chinois dans une école internationale. "C'est en détention que j'ai pris conscience de mon attachement à la France, dit-il, et que ma vie est ici. »

Et c'est durant sa détention qu'il se met à écrire ses premières "tribulations d'un gastronome chinois en France" : le chapitre sur le ravioli et le sandwich, celui sur le dosage des ingrédients, celui sur le thé et le vin. "Chacun est un peu conçu comme une chronique, genre qui se pratique beaucoup en Chine." Il soumet ses textes à un de ses amis, le traducteur Sébastien Cagnoli, qui le félicite et l'encourage. A l'été 2010, son manuscrit achevé, Yu Zhou l'envoie à plusieurs éditeurs, dont Fayard : Sophie de Closets l'appelle très vite et décide de publier ce qui est devenu La baguette et la fourchette. Un livre subtil et personnel, réflexion sur les liens que la cuisine permet de tisser entre les civilisations.

Petit Bateau, sur un petit nuage, songe maintenant à traduire son livre en chinois, et à écrire son "guide culturel de la gastronomie française à l'usage des touristes chinois », lesquels découvrent enfin les délices des huîtres et du foie gras, et de l'entrecôte saignante. Sans baguettes.

La baguette et la fourchette. Les tribulations d'un gastronome chinois en France, Yu Zhou, Fayard, 224 p., 14 euros, ISBN : 978-2-213-66593-1, mise en vente le 30 mai.

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