Philippe Trétiack, écrivain sur mesure

Philippe Trétiack chez Simon's, à Paris. - Photo Olivier Dion

Philippe Trétiack, écrivain sur mesure

Reporter, critique d'architecture, écrivain... Philippe Trétiack, bourlingueur touche-à-tout, dévide la bobine d'une histoire de famille de tailleurs.

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Par Sean James Rose
Créé le 09.09.2019 à 12h17

Tout commence avec les costumes de Fillon. Tiens, se dit-il, voilà un excellent sujet. Philippe Trétiack, journaliste-reporter, critique d'architecture et écrivain toujours à l'affût d'un angle original, a l'intuition que chez le tailleur de l'élite politique ont dû se croiser pas mal d'acteurs de l'histoire contemporaine. Sis à Saint-Germain-des-Prés, Arnys qui fournissait la garde-robe du malheureux candidat de la droite à la présidentielle a vu défiler les politiciens de tous bords. Une contre-histoire, côté vestiaire.

Philippe Trétiack en parle à son épouse, Elisabeth, de retour d'un dîner, et qui justement partageait la table de Michel Grimbert, propriétaire d'Arnys. Il se trouve qu'Elisabeth Trétiack est aussi l'attachée de presse de la maison d'édition Plein jour dirigée par Sibylle Grimbert, la fille de Michel... Small world. Un livre sur la boutique tenue par les frères Grimbert, Michel et Jean, et rachetée en 2012 par LVMH, est signé, mais ce qui paraît ces jours-ci n'est pas la seule saga de ces princes de l'habillement masculin. A leur histoire se mêle celle d'une autre boutique de vêtements. Dans Arnys et moi, Philippe Trétiack raconte aussi sa mère, cette brocanteuse dans l'âme et reine des puces, qui avait un magasin de nippes. Avec le livre resurgissent les souvenirs, sensations en boule dans les vieilles armoires d'une enfance à Paris, lorsqu'il accompagnait sa mère acheter du tissu dans le Sentier. Deux boutiques, deux histoires à l'opposé. Les Grimbert sont « des habillés », des tailleurs reconnus, épanouis dans leur art des ciseaux et de l'épingle, « nous, des "déshabillés", les perdants d'un commerce qui n'avait jamais plu à ma mère », explique Philippe Trétiack. Pourtant les deux familles venaient peu ou prou du même endroit : des juifs de l'Est - Ukraine, Pologne, Russie, Roumanie - de cette Mitteleuropa, où l'on changeait moult fois de nationalité sans jamais bouger de chez soi, juifs qui reçurent « le malheur en héritage », et dont tant dans les familles ont péri dans les camps. De la judéité, il a gardé un certain sens de l'absurde - les misères de Job rachetées par l'autodérision de Woody Allen. « On se tire d'embarras sans se tirer d'affaire », sourit Philippe Trétiack.

Une inoxydable « jeunhomie »

C'est bien par le désarmorçage d'un réel où plane encore l'ombre menaçante de Moscou que Philippe Trétiack fait une entrée fracassante en librairie. Son premier livre est un guide pratique du collabo en cas d'invasion soviétique. A « Apostrophe », Bernard Pivot lit un extrait de Bienvenue à l'Armée rouge (JC Lattès, 1984), une phrase à savoir en russe : « C'est un coup monté, ce saucisson sec ne m'appartient pas. » Eclat de rire général. C'est le best-seller assuré.

Mais Philippe Trétiack, malgré son éternel air juvénile, cet inoxydable « jeunhomie », et un regard espiègle où brille l'éclair de mille idées, peut être sérieux. Disons, traiter des sujets sérieux de manière décalée, ou à l'inverse trouver de la gravité sous un sujet frivole. Architecte de formation, tombé dans le journalisme par hasard (après la visite d'une exposition sur le saxophone avec une amie journaliste à Télérama, il se voit confier un article, vu qu'il jouait de cet instrument), il s'intéresse toujours à la question urbanistique : Faut-il pendre les architectes ? (Seuil, 2001). Grand reporter à Elle, il rapporte pour le féminin des sujets comme « La mode chez les mollahs », qui lui valut le prix Louis-Hachette. Il avait publié une enquête fort risquée sur la mafia, La vie blindée (Seuil, 1992). Philippe Trétiack ne tient pas en place. Car celui qui a vécu « l'exil par procuration » n'est-il pas toujours un peu afasat, comme disait sa mère en yiddish, « de traviole », « à côté ». Tenir en place ? Quelle place ? C'est nulle part. Ou tout l'espace.

Philippe Trétiack
Arnys & moi
Plein jour
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 17 euros
ISBN: 9782370670397

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