C'est un testament, une prescription à la gloire de l'amour et de l'imaginaire, dont le flot rappelle tour à tour Nabokov, Borges, Rimbaud, et surtout Virginia Woolf. Texte d'envolées, d'imprécations, récits et mises en demeures, ce tombeau orchestré par elle-même, narratrice écrivain au faîte de sa vie, a la fluidité du récit éclaté en strates de souvenirs et la fulgurance d'une prose poétique. C'est une histoire de langues puisque c'est une écrivain franco-anglaise, puisque elle mêle la sienne à celle d'une femme, puisqu'on pense à Orlando et au Festin nu, puisqu'elle forge et déploie sa propre langue en une multitude de styles et de variations : " votre foie est atteint, vous êtes vert, vert comme un cyprès de cimetière ". Elle vole (des bijoux), elles volent (dans les airs), elle joue au gangster, à l'éminente spécialiste culinaire, anglaise et entourée de peuples oubliées et de créatures mythiques : " ... quand je te vis passer sous mes fenêtres, dans le seul rayon de lumière blanche que laissaient filtrer les hêtres en touffe qui cernaient la maison, auréolée, sans toucher terre, accompagnée d'une multitude de petites pixies vibrionnantes ." Elle régente des nains minuscules, les installe dans un terrier, organise des fêtes échevelées. Et parfois : " J'ai l'impression d'être accrochée avec toi au ciel noir d'une nuit d'août, au milieu des étoiles fixes et filantes. " Sa préférence va " aux établissements où l'on accueille les travestis et la ribambelle de tapettes et de gousses que contient toute ville ", son texte fait partie des miennes, l'un des plus joyeux et stimulants de la rentrée. --- So long, Luise , Céline Minard , Editions Denoël --- Si l'on goûte le charme des phrases longues qui de souvenirs d'un apprentissage du désir amorcé dans l'enfance jusqu'à l'extase d'un premier coït hétérosexuel nous retracent les images communes et bien spécifiques de cour de récréation, d'affiches de film, de magazines et de premiers émois parsemées de rares et élégantissimes imparfaits du subjonctifs - mêlant le sexe et l'écriture - alors on prendra plaisir à la langue éveillante, de celles qui ouvrent des mélodies de clarté et dilatent l'iris, d'Eric Laurrent. --- Les Découvertes , Eric Laurrent , Editions de Minuit --- C'est un choeur. C'est un texte froid. Où l'on découvre Robert mort dans son appartement.  Où les voix de ceux qui vivaient parfois avec lui s'élèvent pour l'accompagner dans une lente procession funéraire. On transporte son corps à la morgue. La camionnette fait des détours, on suit Danny de loin en loin, qui cherche Laura, la fille de Robert, et où sont Mike, Ben, Heather, Steve, Ant. Sous un pont, au sous-sol d'un parking, faisant les cent pas autour d'une cabine téléphonique avec le chien qui aboie, et les souvenirs qui remontent, la dose, la recherche, le manque, la dose, la recherche, le pieu, le coin où dormir, le chèque, la dose. Et nous attendons. Nous attendons que les dernières braises flambent, il fait encore ce geste comme pour lui tendre une cigarette. Elle a quitté la maison il y a si longtemps. On m'a donné ce numéro, tu peux m'en filer pour dix livres ? Chauffer la cuiller, porter à ébullition, nos corps que l'on ne touche plus. Nous attendons. Les couches narratives se déplient comme se révèle l'intérieur d'un cadavre. Vous espérez quoi ? Des réponses ? Nous sommes là, rassemblés, autour de lui. Il n'y a pas de bougies mais c'est comme. (un peu Lobo Antunes) Un choeur invisible. Les amis choisis, les hommes, les femmes comme des chiens. Un choeur dans la ville qui sombre. --- Même les chiens , Jon McGregor , Editions Christian Bourgois ---
17.10 2013

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