De son enfance à Rabat, il se rappelle le soin particulier que sa mère « très douée de ses mains, artiste sans être véritablement artiste », apportait à la forme. Tricot, pastillas, déco, tout devait être beau. Youssef Daoudi qui est le petit dernier d'une fratrie de quatre, où la troisième a douze ans d'écart avec lui, sans compter les trois demi-frères d'un premier lit de son père, beaucoup plus âgés, se passionnait, quant à lui, pour cette forme que fait naître un crayon : le dessin. D'aussi loin qu'il se souvienne, « des mille choses que je voulais être, c'est vraiment dessinateur, le rêve que je caressais le plus ardemment », raconte-t-il. Mais pas le dessin pour le dessin. Pour l'amateur de fumetti, petits formats de bande dessinée populaire italienne, de Tintin (« Le sceptre d'Ottokar était mon préféré ») ou encore de Pif Gadget (« Fred ou Hugo Pratt y officiaient quand même ! »), c'est l'image au service d'une histoire. En somme, la définition même du 9e art, ce vers quoi il se destinera.

Enfant curieux

Bac scientifique en poche, le jeune fou de dessin ne s'engage pourtant pas immédiatement dans cette voie de la narration en bulles. Le problème, c'est qu'il aime tout, Youssef, la biologie, la physique, la littérature, la bande dessinée comme les voitures. Pourquoi pas ingénieur ? Ou dessinateur industriel ? C'est d'abord vers les films qu'il se dirige en s'inscrivant à l'Institut supérieur cinématographique d'Etat à Moscou, naguère en Union soviétique... On est en 1989, l'année de la chute du mur de Berlin. La déconfiture de l'administration communiste et le climat d'insécurité le forcent à abandonner ses études de cinéma. Cela dit, le découpage technique et le story-board lui seront utiles pour son travail de publicitaire à Casablanca (« à l'époque, le dessin était encore mon jardin secret »), et plus encore comme auteur de BD une fois installé en France, où il se lance enfin, encouragé par des dessinateurs qu'il admire comme Derib ou des éditeurs tel Guy Vidal. Il signe en 2005 chez Casterman son premier album, La trilogie noire d'après Léo Malet, avec un scénario de Philippe Bonifay.

L'enfant curieux, devenu plus de quatre décennies plus tard auteur de BD, publie un roman graphique sur le jazzman new-yorkais Thelonious Monk, ou plutôt sur l'amitié entre le compositeur de 'Round Midnight et sa bienfaitrice, l'excentrique baronne Pannonica de Koenigswarter, née Rothschild, qui donna son prénom à un morceau mythique. Monk !, immédiatement acheté par First Second aux Etats-Unis, paraît concomitamment en France chez un tout nouvel éditeur, Martin de Halleux, ami par ailleurs de Youssef Daoudi.

Entre les deux grandes tendances, le « classicisme » réaliste de Métal hurlant ou Pilote, et la veine comique de Fluide glacial, Youssef Daoudi peut faire à la fois Tripoli (Glénat, 2014) et Les maîtres de guerre (Fluide glacial, 2017). « Il est victime de sa propre virtuosité », affirme son éditeur français, qui avoue avoir été moins accroché par ses albums précédents. Qui connaît déjà les œuvres de Youssef Daoudi ne reconnaîtra pas forcément le dessinateur ici émancipé du style franco-belge, avec Monk ! : Thelonious, Pannonica... Une amitié, une révolution musicale. Séquences sans
phylactères, en bichromie (noir et ocre), pleines de notes suspendues ou de
volutes pianistiques à la Thelonious Monk.

Youssef Daoudi opère une vraie mue. Le lent poison d'une autre vraie passion a agi. Le dessinateur éprouva à 14 ans « la morsure soudaine du jazz » en entendant 8:30 du groupe de fusion Weather Report. Puis il a suffi d'un séjour à New York en 2013, où tout respire ces rythmes magiques - le déclic, Youssef va se lâcher dans un roman graphique, à fond, plein jazz.

Youssef Daoudi
Monk ! Thelonious, Pannonica... une amitié, une révolution musicale
Les éditions Martin de Halleux
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 35 euros, 352 p.
ISBN: 9782490393022

En dates

1969

Naissance
à Rabat

1989-1991

Etudes de cinéma en URSS

1995

Directeur artistique puis directeur de création dans la communication (Publicis, Euro-RSCG, Havas)
à Casablanca

2005

Premier album chez Casterman,
« La trilogie noire » d'après Léo Malet

2013

Premier séjour à New York, inspiration d'un livre sur le jazz

2017

Parution de
« Monk ! », son premier roman graphique, chez First Second en anglais et aux éditions Martin
de Halleux
en français

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