BD/Espagne 25 octobre Antonio Altarriba et Keko

En bande dessinée, Antonio Altarriba, scénariste à plein temps après avoir été professeur de littérature française, a, chez Denoël Graphic, deux cordes à son arc. Avec Kim au dessin, il plonge dans les replis de l'histoire espagnole en restituant la trajectoire de ses propres parents dans L'art de voler (2011) ou L'aile brisée (2016). Epaulé par Keko, avec lequel il a inauguré, Moi, assassin (2014), grand grix de la Critique ACBD 2015, sa « trilogie du Moi », il décortique les travers de l'Espagne d'aujourd'hui, et plus largement de notre société contemporaine, avec une approche fantastique qui les fait émerger dans toute leur sophistication.

Moi, fou est situé dans la même ville basque de Vitoria, où Antonio Altarriba a enseigné, que Moi, assassin. Celle-ci apparait d'ailleurs peu à peu dans son œuvre comme le réceptacle de toutes les turpitudes, une sorte de Gotham moderne, en somme. Mais là où le premier volume de la trilogie s'attaquait à l'imposture morale, intellectuelle et artistique, le nouvel ouvrage des deux auteurs espagnols voyage dans le monde de la médecine psychiatrique et des laboratoires pharmaceutiques.

Docteur en psychologie et écrivain raté, resté traumatisé après qu'il a été, enfant, violé par son père - il continue à en faire des cauchemars -, Angel Molinos travaille pour l'Observatoire des troubles mentaux (Otrament). Ce centre de recherches des Laboratoires Pfizin pousse loin son travail d'analyse : Angel Molinos est chargé, à travers un suivi fin des pratiques sociales, d'imaginer plus que d'identifier des pathologies mentales qui justifieront la conception et la commercialisation d'un médicament. Il définit par exemple, collection de symptômes à l'appui, le « syndrome de Thersite », soit un « rejet total ou partiel de son propre corps ». Il identifie une cohorte de patients potentiels (orhorexiques, accros à la chirurgie esthétique...) qui seront autant de clients. Mais pourquoi pas pathologiser les comportements des groupies et fétichistes (fanopathie) ou les obsédés du neuf (néophilie) ou au contraire ceux qui le rejettent (misonéisme) ?

Le laboratoire pratique aussi des expériences plus extrêmes qui vont conduire Angel, lorsqu'il les découvre grâce à un collègue lanceur d'alerte, à douter de son métier comme de lui-même. Antonio Altarriba et Keko, décidément un as du noir et blanc, vont dès lors faire basculer leur récit dans le thriller. Ils déroulent une double enquête d'Angel : dans son passé et chez Otrament. Un double suspense à travers lequel cet antihéros bascule peu à peu lui-même dans la folie.

Antonio Altarriba et Keko
Moi, fou - Traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco
Denoël Graphic
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19,90 euros ; 136 p. en Bicro.
ISBN: 9782207136348

Les dernières
actualités