18 août > roman Suède

"Nous sommes tous fous…", mais certains sont happés par un gouffre sans fond. Une condition qui a longtemps été synonyme d’enfermement. Situé dans les environs de Stockholm, Beckomberga ouvre ses portes en 1932. Cet hôpital psychiatrique se veut avant tout un havre de paix. "Un nouveau monde où personne ne serait laissé pour compte." Ce lieu, à la fois fascinant et effrayant, a vraiment existé. Sara Stridsberg a voulu s’y aventurer, arpenter ses couloirs et ses fantômes.

Autrefois professeure de littérature à Berlin, cette quadra a confié à L’Express qu’elle s’est longuement penchée sur "la destruction et l’aliénation, de Médée à Sarah Kane". Des thèmes déjà présents dans La faculté des rêves (Stock, 2009), qui l’a révélée, où elle ravivait une féministe extrémiste qui a tenté d’éliminer Andy Warhol. La romancière, influencée par Elfriede Jelinek, ne vise pas tant à expliquer la démence qu’à lui donner un visage.

Beckomberga "représente ce qu’il y a de plus imparfait en nous : l’échec, la faiblesse, la solitude". Ce n’est pas une raison pour détourner le regard, ne pas écouter l’histoire de ceux qui en souffrent. Outre les principaux concernés, il y a les proches des patients. Jackie, la protagoniste du roman, est confrontée aux tournoiements de son père, Jim. Pourquoi cette figure, soi-disant protectrice, est-elle incapable de veiller sur elle ? Pourquoi se sent-il à l’abri à Beckomberga, cet îlot coupé du monde ? Lorsqu’elle le sonde, il rétorque : "Mes ailes sont devenues trop grandes, je ne peux plus voler."

Aussi est-il accueilli par Edvard, un médecin non conventionnel qui n’est pas sans rappeler Félix Guattari, philosophe et psychanalyste, œuvrant dans sa clinique de La Borde. Une institution similaire à celle-ci, où les malades bénéficient de soins, d’écoute, de liberté et de lieux de vie. Edvard rêve de leur faire entrevoir l’espoir. "Je ne sais pas si je vous qualifierais de cinglés. Irrécupérables." Il veut les humaniser et les responsabiliser.

Un projet ambitieux pour Jim, ce père égoïste, alcoolique, dévastateur et suicidaire. A travers la voix de sa fille Jackie, on perçoit la difficulté de grandir avec un pilier défectueux. Mais au lieu de couper le lien, elle s’évertue à revenir à Beckomberga. La force du roman étant d’en faire un personnage à part entière. Un lieu vivant, dans lequel des âmes en peine s’adonnent à des moments de contemplation, de désespoir, d’amour ou de magie. Il ne s’agit pas de les sauver, mais de leur permettre de s’accepter.

La psychiatrie a beaucoup évolué, elle a aidé les malades à rejoindre le monde du dehors. En plongeant dans son histoire, Sara Stridsberg revisite six décennies de tabous, de douleurs et d’avancées. Sa langue, vertigineuse et généreuse, ne sombre point dans l’horreur. Ici, "chaque goutte renferme un miroir et chaque miroir contient une goutte de solitude". Kerenn Elkaïm

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