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Pourquoi les médiathèques jouent à fond l'escape game

Lors d'une soirée organisée pour Halloween, un escape game organisé à la Médiathèque-Ludothèque de Bonneuil-sur-Marne. - Photo DR

Pourquoi les médiathèques jouent à fond l'escape game

Le succès de ces jeux d'enquête collaboratifs gagne de plus en plus de bibliothèques. Celles-ci se lancent dans les énigmes grandeur nature, ou 100 % numériques. Comment expliquer ce phénomène ? Quel bénéfice y trouvent ces établissements ? Enquête et conseils pratiques.

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Par Fanny Guyomard,
Créé le 16.04.2021 à 13h29

C'est la panique dans la bibliothèque. Un groupe de pseudo-experts s'apprête à annoncer une fausse information sur toutes les télévisions du monde, invitant l'humanité à se rendre sur Mars pour un prix stratosphérique, fixé par ces escrocs ! Pour contrer le complot, un groupe d'agents secrets doit vite résoudre des énigmes parsemées dans la bibliothèque afin de récupérer une clé USB révélant la vérité...

Ce récit est fictif : c'est le scénario d'un escape game, jeu d'enquête collaboratif se déroulant dans un temps et un espace limités. Depuis quelques années, ce divertissement s'échappe des salles spécialisées pour gagner musées, châteaux et désormais bibliothèques, où les formations pour en organiser fleurissent. « Cela s'y développe car les médiathèques ont pour rôle de créer du lien social. Or, un escape game fait justement appel à l'interaction et à l'entraide », observe Vivien Seugnet, formateur et médiateur jeu à la bibliothèque départementale d'Indre-et-Loire. Autre intérêt : « L'escape game attire des personnes qui ne sont jamais venues dans l'établissement. Et même les habitués du lieu le perçoivent différemment. J'ai déjà vu des jeunes revenir feuilleter un bouquin qu'ils ont incidemment repéré en fouillant une étagère pendant le jeu, voire le parcourir pendant que le chrono tourne ! » Selon son expérience, un escape réussi dure une heure, dans un espace intimiste, à six personnes maximum (comme la jauge Covid), avec des moments où elles résolvent un problème à deux ou trois : « les joueurs apprécient cette parenthèse où ils ne sont pas toujours collés ensemble ».

Yann le Bail, qui crée et conduit ce type d'animation depuis trois ans, signale aussi l'importance de réserver quelques minutes au début pour expliquer le principe de l'escape game, et à la fin pour recueillir l'avis des participants. Entre les deux, le médiateur maniera l'art de les plonger dans une ambiance (en étant costumé par exemple), de les inciter à collaborer (ce qui n'est pas toujours facile quand les joueurs ne se connaissent pas) et de souffler, lorsqu'ils bloquent sur un problème, des pistes ni trop ardues ni trop claires (afin de ne pas leur voler le sentiment de la victoire). Pour le bibliothécaire aussi, c'est un jeu.

Recours à des comédiens

Et il commence dès sa conception. Les médiathèques ne manquent ni d'idées ni d'accessoires pour s'amuser : phrase en morse ou en langue des signes, série de nombres menant vers le numéro de page d'un roman puis vers une phrase et un mot de cette page, lampe UV, boîte à double fond, cryptex (coffre-fort alphabétique), cadenas magnétique ou directionnel... et talents de comédiens. La médiathèque de Veynes (Hautes-Alpes) a ainsi fait appel à quatre acteurs bénévoles de la Compagnie Dernière Minute, dans le cadre d'une affaire très délicate : un agent d'entretien a été poussé dans l'escalier et il faut trouver le coupable (le professeur fou, peut-être ?). Un autre comédien joue le directeur de la bibliothécaire colérique, qui empêche les enfants détectives de sortir tant que l'enquête n'est pas résolue. « La difficulté a été de trouver des énigmes ni trop ni pas assez difficiles pour des enfants de six à onze ans », constate le médiateur numérique Cédric Gas, qui a mis un mois à écrire récit et énigmes.

Si le temps manque, des livres escape game (chez Mango par exemple) et des jeux de société sur table (Unlock, Exit ou encore « Versailles », un escape game de Patrice Lesparre publié chez Hachette qui repose sur l'Affaire des Poisons, du Collier de la Reine ou sur l'histoire du chevalier d'Éon) peuvent servir d'échappatoires à un calendrier trop serré. Il est aussi tout à fait possible de créer un escape game grandeur nature basé sur une mécanique simple, à destination d'élèves : chaque groupe doit ranger (dire plutôt « retrouver l'emplacement ») cinq documents dans les rayonnages. À l'endroit où ils devraient se trouver, se trouve une question (« énigme »), à laquelle ils répondent en regardant dans le document ou sur sa fiche numérique. L'ensemble des réponses permet de reconstituer un mot final. « Les enfants découvrent la diversité de notre offre en manipulant directement les outils, et voient la bibliothèque comme un plateau de jeu géant. Pour nous, cela permet aussi de nous rendre compte des lacunes dans l'organisation spatiale de nos collections », analyse Marie-Laure Duquenoy, responsable du pôle 6-11 ans à la médiathèque de Massy (Essonne).

Kits et fiches pratiques

Il existe également des escape games clés en main spécialement conçus pour les médiathèques, comme le kit « Panique à la bibliothèque, la crédulité sera votre pire ennemie », proposé gratuitement par l'association Délires d'encre et Science Animation. Depuis sa mise à disposition en 2018, il a été utilisé par 1 100 structures dans onze pays. Tout est détaillé dans les fiches pratiques, de la conception du coffre-fort selon le budget (une trousse, deux trombones et un cadenas suffisent) au temps requis par le bibliothécaire pour lire l'ensemble des fiches pratiques. « La question de départ était : comment amener la science et l'animation scientifique dans les bibliothèques, à travers un outil qu'elles utiliseraient de manière autonome ? Pour les bibliothèques, c'était : comment faire venir les ados ? Le choix s'est porté sur un escape game », expose Audrey Bardon, directrice adjointe de Science Animation. Elle a ensuite puisé son inspiration sur les sites scape.enepe.fr, cquesne-escapegame.com et le jeu télévisé Fort Boyard.

Son premier conseil : alterner entre les énigmes manuelles, de logique et de reconnaissance visuelle pour toucher aux sensibilités de tous les participants. Deuxième ingrédient du succès : la magie de l'apparition (un aimant fait subitement bouger un objet caché ; le souffle sur le miroir révèle un mot préalablement écrit dessus au doigt ; un dessin apparaît quand on relie les punaises avec des élastiques...) Tercio : l'immersion, grâce à la diffusion de sons (le bruit d'un hélicoptère à l'approche). « Enfin, les premières énigmes doivent être assez simples pour lancer la dynamique du groupe. Et la dernière doit être collaborative. » Le tout pour un budget de vingt euros minimum.

Pour un budget de plus de 5 200 euros, Euterpe consulting a conçu une malle qui peut circuler d'un établissement à l'autre. « Les secrets de la bibliothèque » propose trois scénarios possibles et se joue de 12 à 30 personnes. Elles se retrouvent immergées chez Prosper Mérimée, écrivain et inspecteur général des monuments historiques, et sa demeure contiendrait des trésors...

La mise en scène commence dès l'inscription, à travers une bande-annonce publiée sur la page Facebook de la bibliothèque. Les inscrits reçoivent ensuite un SMS leur indiquant les modalités du rendez-vous, dress code à la Indiana Jones. « Ils arrivent à l'heure et sont au taquet, certains avec des lampes frontales », s'amuse Sandrine Ferrer, qui a conçu le kit. La malle contient des objets chinés dans des brocantes ou aux enchères suggérant l'Égypte ancienne, la Chine des Royaumes combattants, les Vikings et les Templiers. Aux côtés du rouleau en papier de soie ou des photos originales datant de la fin du XIXe siècle, trois tablettes numériques permettent de faire apparaître des objets en réalité augmentée. La technologie est aujourd'hui abordable.

À distance aussi

Vivien Seugnet utilise par exemple l'application gratuite HP Reveal, qui permet de faire apparaître un objet sur l'écran lorsqu'il est rivé vers la couverture d'un livre que le bibliothécaire aura au préalable fait reconnaître par l'appareil. Le cadenas peut lui aussi être virtuel, sur lockee.fr par exemple. Et lorsque la crise sanitaire rend les animations difficiles à réaliser, elles se jouent 100 % en numérique, sur le site genial.ly/fr qui permet de créer une sorte de diapositive interactive. En débutant avec l'outil, le médiateur numérique a compté une quinzaine d'heures pour élaborer sa dizaine d'énigmes sur une soixantaine de pages.

L'escape game à distance organisé par la bibliothèque de Mulhouse pour la Nuit de la lecture de janvier repose lui sur l'ouverture de dossiers dans un ordre précis. L'animation n'a rien coûté, sinon plus d'un mois de travail à six, qui pourra être « rentabilisé » en étant constamment accessible sur le site de la bibliothèque. Autre effet du numérique : « 65 % des participants n'étaient pas inscrits à la bibliothèque », se réjouit la médiatrice numérique Valentine Lemaire. La même proportion s'est dite habituée  à l'escape game.

La médiathèque de Mulhouse a également eu la bonne idée de faire créer ce jeu d'énigme-confinée par le public, épaulé par un scénariste. Mais les douze heures d'atelier ont eu lieu en février 2020, et le confinement n'a pas permis de tester leur œuvre. Elle racontait l'invasion d'un virus qui décimait l'humanité. Prometteur.

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