24 NOVEMBRE - ESSAI France

Rimbaud et Baudelaire. Ce sont les deux phares poétiques d'Yves Bonnefoy. Après avoir réuni au Seuil il y a deux ans ses textes sur "l'homme aux semelles de vent" (Notre besoin de Rimbaud), le poète âgé de 88 ans a fait de même pour celui qui a pétri de la boue pour en faire de l'or, le dandy des Fleurs du mal.

Des années 1950 aux années 2000, l'ancien titulaire de la chaire d'études comparées de la fonction poétique au Collège de France n'a cessé de relire Baudelaire. Et, chaque fois, il y a trouvé quelque chose de nouveau, quelque chose qui accroche son regard, une lumière particulière.

Ce recueil, c'est un peu le bilan de la fréquentation d'un ami depuis plus d'un demi-siècle. On y trouve la matière de l'année d'enseignement sur Baudelaire au Collège de France, mais aussi Baudelaire contre Rubens, tout contre, le rôle de la composition chez le poète, qui lui permet de mener son lecteur par le bout du nez, l'importance de la ville, le sens de la foule, pour finir par une étude de 1967 sur Baudelaire et Mallarmé revue aujourd'hui et placée pour cette raison en fin de volume afin de préserver le sens de la chronologie.

C'est d'ailleurs assez logique. Mallarmé vient d'une certaine façon clore ce que Baudelaire avait entamé. Entre les deux, on trouve le météore Rimbaud. Dans ces pages inspirées, Baudelaire surgit comme un moi qui se cherche, se raconte et se perd. "Les grands poètes sont ceux qui nous aident par la surabondance de leurs apports - et par leurs errements, aussi bien - à nous diriger vers nous-mêmes."

Bonnefoy se sert du poème comme d'une carte pour y lire des itinéraires nouveaux. Il nous montre souvent les raccourcis pour saisir un vers, une image. Il en relève le sens caché puisqu'il y a toujours chez le poète quelque chose de dissimulé, qui se montre comme pour mieux rester caché selon le principe de la lettre volée de Poe. Surgit alors la relation forte du poète avec la notion d'oubli, ces "pauvres morts" pour lesquels il ressent une dette inépuisable, que la vie même ne saurait combler. D'où ce besoin de fuite perpétuelle, dans le rêve, dans les paradis artificiels, dans les femmes.

Faire de sa vie et de son oeuvre une expérience de vérité. Baudelaire a joué au petit chimiste des âmes et tout a explosé. Cela a donné "Ciel brouillé" et "La mort des amants". Il y a toujours un double fond dans cet art de l'escamotage. Habile magicien, le poète insiste pour que nous regardions dans une direction pendant qu'il manipule des mots dont nous verrons par la suite où ils nous entraînent.

Bonnefoy évoque aussi Nerval, autre grand promeneur sombre et solitaire de Paris. "Se mettre en chemin, chercher, le hasard, les signes : certainement ce sont là les maîtres mots dès qu'il s'agit de Gérard de Nerval." Ce Nerval que Baudelaire qualifiait de "lucide" justement parce qu'il était ailleurs. Cette belle leçon de poésie par un poète sur un poète ne glisse pas vers l'apologie béate. Bonnefoy, jamais dupe, reste toujours éclairé dans son admiration, toujours profond dans son analyse, notamment lorsqu'il conclut : "Baudelaire a beaucoup souffert d'être moins révolté qu'il ne l'a cru."

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