10 avril > Récit Belgique

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La vanité est un genre très prisé au XVIIe siècle dans la peinture flamande : ces compositions de fleurs, de fruits et d’insectes symbolisaient la nature périssable de toutes choses et rappelaient au croyant qu’il n’y avait de vraie vie qu’après la vie. A notre époque, l’au-delà n’appelle plus l’adhésion de tous, mais l’essentielle précarité du vivre n’a pas perdu de son actualité. Memento mori, souviens-toi que tu vas mourir. On a beau se répéter la maxime des Anciens afin de s’exhorter à la stoïque indifférence, ce n’est pas la fin qui fait peur mais la fin qui n’en finit pas de finir. Pas tant la mort que le « mourir » - la déchéance.

Erwin Mortier- Photo LIEVE BLANQUAERT/FAYARD

Des prémices de ce déclin-là, Erwin Mortier se souvient à présent. Un coup de fil anodin à ses parents, sa mère l’informe qu’un courrier à son nom est arrivé à leur adresse, il lui demande d’ouvrir la lettre, elle lui dit : attends, je vais la chercher. Elle a raccroché et n’a jamais rappelé. La suite est venue sans prévenir, à pas de loup, l’oubli a subrepticement creusé ses trous dans la conscience de la mère de l’auteur. C’étaient d’abord des petits blancs sous la forme de périphrases, comme des devinettes qui émaillaient la conversation, et bientôt plus d’échanges, une parole délabrée : « Des ruines verbales, des décombres grammaticaux jonchent la nappe, éparpillés autour de ses mains. Oui, c’est ça, dit-elle chaque fois que nous terminons la phrase pour elle - comme on achève un cheval boiteux. »

Le romancier et poète flamand, né en 1965 dans la région gantoise, pensait comme ses frères et sœurs que cette mère, réchappée d’un cancer après cinq grossesses, vieillirait paisiblement avec son mari, leur père ; que, eux, leurs rejetons permutant les rôles, s’occuperaient du vieux couple tels des parents leurs enfants. Mais le trépas avait d’autres plans. Des mauvais tours : cette femme qui avait été si joyeuse, si dynamique, au seuil du troisième âge, allait glisser d’un coup vers la prime enfance, oublier jusqu’à son identité d’épouse, de mère, d’être pensant. Sixième ouvrage traduit de Mortier, Psaumes balbutiés, ce « Livre d’heures de ma mère », est un texte hybride, entre journal et poésie, pensées intimes et récit des effets dévastateurs de la démence sénile précoce. Erwin Mortier évoque la culpabilité du père impuissant devant le naufrage de sa tendre moitié. Les réactions de la mère ricochent vers le passé lointain de son milieu, des fermiers soucieux de bienséance et pétris de honte. D’une voix ténue, toute tendue par l’émotion, l’auteur y consigne, comme ces prières qui scandent la journée des moines, la chronique d’une perte annoncée. Paragraphes courts qui s’étiolent comme la vie au fil des pages. Des images fortes vous saisissent, comme cette pietà inversée, où c’est le fils qui porte la mère, lors d’une séance de toilette avec l’aide-soignante : « Ce n’est pas l’odeur. C’est la vue du corps de ma mère qui m’effraie : blême, décharné. Sans une once de graisse sous la peau, les muscles secs et fins comme des cordes ou des câbles. Et son chagrin, son chagrin infini. » Sean James Rose

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