"Le festival aura bien lieu." C’est par cette curieuse phrase, que nul n’a vraiment relevée, que Pierre Lescure, nouveau président du Festival de Cannes, a ouvert la conférence de presse de présentation de l’édition 2015. Les initiés auront compris qu’il s’agissait d’un hommage discret et élégant à son prédécesseur, Gilles Jacob, qui publie ces jours-ci son deuxième roman (quarante-six ans après le premier !), Le festival n’aura pas lieu.
De quoi s’agit-il ? D’une promenade avec l’amour et la mort, pour paraphraser John Huston, où l’on s’attache sur deux décennies aux pas d’un journaliste de cinéma, Lucien Fabas, bientôt reconverti en responsable du festival et arbitre des élégances cannoises. Tout commence en 1952, lorsque Fabas est envoyé par son journal "couvrir" au Kenya le tournage du nouveau film de John Ford, Mogambo. Là, entre boas constrictors avaleurs de diamants et redoutables guerriers masaïs ou mau-maus, le journaliste français, entouré de bêtes sauvages dont les moindres ne sont pas Clark Gable, Grace Kelly et surtout Ava Gardner, fera en accéléré son éducation sentimentale dans les bras de Bappie, la sœur d’Ava. Cette semaine-là changera tout dans sa vie, lui ouvrant à jamais le champ des possibles au fil d’un amour contrarié avec Bappie. Il y aura Madrid et ses toreros Dominguin et Ordoñez, le festival en mai 68 avec Truffaut, Godard et Malle accrochés aux rideaux de la salle de l’ancien Palais, la Suisse où de Gaulle, cousin de l’épouse légitime de Fabas, s’en va réfléchir au monde qui s’en va… Lépidoptériste amateur d’espèces disparues, au premier rang desquelles les stars, Fabas, bien sûr, c’est Gilles Jacob lui-même, sa mélancolie douce-amère et son goût pour les mythologies portatives de la mémoire. C’est aussi Robert Favre Le Bret, qui le précéda à la présidence du Festival de Cannes et passa sans transition de Paris-Match à la Croisette. C’est une façon de vivre, dans le noir et parmi les fantômes, qui ravira tous ceux qui ne craignent ni le premier ni les seconds. O. M.
