5 septembre > Essai France

Proust est un auteur qu’on relit plus qu’on ne lit. Etrange paradoxe. Dans son essai, François Bon en ajoute un autre : un dialogue temporellement impossible mais esthétiquement plausible entre Proust et Baudelaire, le premier étant né quatre ans après la mort du second. Mais qu’importe le temps. Le temps, c’est la matière même du monde proustien et l’écrivain l’aborde dans sa diversité, dans ce qu’elle offre comme digressions, rêveries, obsessions et plaisirs. Proust est une fiction. Donc on peut tout se permettre. Le faire dialoguer avec Baudelaire, le montrer assis sur le bord de sa tombe au Père-Lachaise, inviter Beckett, Deleuze, Gracq et Koltès dans la discussion, envisager Lautréamont comme père naturel de Marcel, etc.

François Bon ausculte la Recherche avec un moteur de recherche, traque les occurrences des mots électricité, téléphone ou mammouth. Il exploite la Recherche comme on exploite une mine. Il en tire de belles pépites ou des curiosités élégantes comme cette phrase qui laisserait entendre que Proust ne savait pas compter : «… moitié tristesse réelle, moitié énervement de cette vie, moitié simulation chaque jour audacieuse… » En cent courtes scènes, il nous convie au grand théâtre proustien. Sa représentation s’apparente à un éloge de la lecture contre le zapping et de la littérature contre l’industrie culturelle. Comme dans Autobiographie des objets (Seuil, 2012), François Bon procède comme un cartographe de ses désirs. Il situe les éléments proustiens dans l’espace. Il trouve des connexions.

En cela, il est bien de ce Web 2.0 où tout entre en relations, dans une sorte de grande distorsion du temps, territoire privilégié des réminiscences. Longtemps, François Bon avoue s’être heurté à Proust comme à un mur. Il l’a désormais franchi. En cet automne proustien avec un Dictionnaire amoureux de Jean-Paul et Raphaël Enthoven (Plon), un Proust contre Cocteau de Claude Arnaud (Grasset), il joue une partition originale. De cette relecture numérique, il tire un essai qui à tous égards s’égare, le récit d’un lecteur contemporain à la recherche d’un temps diffus. Laurent Lemire

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