1er octobre > Essai France

Vladimir Jankélévitch (1903-1985) a toujours résisté. D’abord à l’air du temps. Alors que ses collègues philosophes s’adonnaient au grand tout-structural ou plongeaient dans l’être-là dissimulateur d’Heidegger, lui explorait les je-ne-sais-quoi et les presque-rien. L’auteur de l’imposant Traité des vertus ("Champs"-Flammarion, 2011) considérait que la sagesse pouvait résider dans les interstices de l’être humain. Mais c’est aussi dans ces petits détails que pouvait s’immiscer le diable. Il en donne quelques exemples dans les articles inédits réunis dans ce recueil. La période est évocatrice : 1943-1983. Du massacre des Juifs d’Europe au crépuscule de sa vie, le philosophe exprime ce que devrait être un esprit de résistance tandis que la vérité agonise. Certaines prises de position auront l’air peu morales chez ce moraliste, notamment dans son double regard fait de déchirement et de fidélité à l’endroit de l’Etat d’Israël ou dans son refus de parler allemand, de lire l’allemand ou d’écouter de la musique allemande après la Shoah. Mais ne vaut-il pas mieux prendre position plutôt que de rester spectateur de l’effondrement ? Après tout, le témoin ne choisit pas sa cause.

Jankélévitch n’est pas dans la réaction compassionnelle qui fait suite à une image, à un sondage, mais dans l’anticipation. On retrouve dans ces interventions éparses, articles, discours ou entretiens, sa force, son verbe, sa fièvre, sa liberté de penser. Et surtout cette chaleureuse clarté qui se manifeste dans la cour de la Sorbonne lorsqu’il rend hommage à Jean Cavaillès, aux lycéens de Buffon et à tous ceux, les François Cuzin, Jacques Decour, Georges Politzer, Valentin Feldman, Boris Vildé qui ont dit non et qui, par ce refus et cette vie mise en jeu, ont incarné une philosophie morale.

Les textes réunis et introduits par Françoise Schwab, Jean-Marie Brohm et Jean-François Rey exposent la lucidité du penseur de l’imprescriptibilité des crimes nazis et qui voit l’antisémitisme comme "la révolution à bon marché". En se débattant avec sa "difficile liberté", il poursuit son chemin. Il parvient à faire comprendre combien le passé a besoin qu’on l’aide et que ne pas honorer la mémoire des courageux, c’est ajouter à la douleur du monde. L. L.

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