1er octobre > Philosophie France

Le classique exemple de la réflexion éthique est celui du tramway fou : un véhicule dont le conducteur a perdu le contrôle ; cinq ouvriers qui travaillent sur la voie ; sur un pont, un passant obèse dont la masse corporelle pourrait stopper la course infernale du tramway. Que faire ? Pousser le gros badaud afin d’arrêter le tramway et sauver les cinq hommes ? Ne rien faire et accepter que des vies soient fauchées ? Logique utilitariste - cinq vies c’est plus qu’une - versus impératif catégorique - on ne mitige pas l’idée du bien, toute la dignité humaine réside dans l’affirmation que la vie d’un homme ne vaut pas plus que celle d’un autre. Droits dans leurs bottes, l’homme ou la femme pétris de morale kantienne pourront toujours se consoler en blâmant le sort qui aura frappé les ouvriers sur la voie dont la vie ne saurait justifier la mort d’un innocent. Mais quid de 50 personnes à sauver, ou encore 5 000 ou 50 000 ? Savoir qui sauver quand on ne peut pas sauver tout le monde n’est pas uniquement une expérience de pensée, rappelle Frédérique Leichter-Flack dans Qui vivra qui mourra. Les chefs des Judenräte, les conseils juifs, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont été contraints par les autorités nazies à établir des listes et à livrer un certain nombre des membres de leur communauté aux chambres à gaz : certains se sont suicidés, refusant de faire une sélection ; d’autres ont "collaboré" en excipant du fait que mieux valait un sacrifice partiel à une extermination totale. Aujourd’hui, dans les situations limites de catastrophe (séisme, ouragan) ou de pandémie (grippe aviaire, Ebola), qui soigner en priorité : le premier arrivé ou celui qui a le plus de chance de survie ? Reprenant l’exemple du Choix de Sophie de William Styron, où une mère est forcée par un officier nazi de choisir entre ses deux enfants, l’auteure du Laboratoire des cas de conscience (Alma, 2012) se penche sur ces "angles morts" où l’intelligence est comme sidérée par l’impossibilité du choix. Elle interroge aussi nos mentalités reflétées dans la fiction contemporaine : la trilogie Hunger games ou les séries télévisées comme Homeland ou Grey’s anatomy. Tester les limites de l’utilitarisme, telle est l’ambition de l’ouvrage, tout en posant la question en amont et de manière politique : "Ce qui importe n’est pas d’inciter chacun à s’interroger sur ce qu’il a vraiment dans le ventre, mais de travailler à bâtir des dispositifs sociaux, politiques, éducatifs, qui évitent à quiconque d’avoir jamais à se montrer héroïque - ou, en d’autres termes, qui permettent à l’humanité de rester humaine sans effort surhumain." S. J. R.

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